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Interview de Marie Vindy

28 Nov 2015

ACH003721029.1439870110.580x580Quel est le premier livre que vous vous souvenez avoir lu ?

Impossible à dire ! Je me souviens des livres de la bibliothèque rose, puis verte… Les clubs des cinq et autre Fantômette… Mais un des premiers livres qui m’ait marqué véritablement, c’est Les disparus de Saint-Agil de Pierre Véry.

Pensez-vous qu’il faille être un grand lecteur pour être un bon auteur ?

Absolument. J’imagine mal comment on pourrait avoir le désir d’écrire des textes destinés à être publiés et lus, en tout cas, à la différence d’un journal intime par exemple, ou d’un travail thérapeutique, sans être soi-même un grand lecteur. Ou l’avoir été, car le besoin de ne pas lire d’autres romans pendant la période de rédaction d’un livre est compréhensible.

Vous êtes auteur de polars et de romans noirs mais aussi chroniqueuse judiciaire. La réalité dépasse-t-elle parfois la fiction ?

Oui. D’une certaine façon. Mais la réalité est souvent plus plate, même si elle véhicule les horreurs les plus inimaginables. La fiction, même proche du documentaire, fait tout de même appel à la littérature, elle offre une dimension, malgré tout, plus analytique, plus universelle, parfois plus poétique. La littérature, c’est aussi l’art de transcender le réel.

Votre vocation d’auteur est-elle de révéler la violence de notre société ?

Oui. De forcer le lecteur à poser son regard là où il l’aurait détourné par dégout. On peut tous fermer les yeux, boucher ses oreilles et museler sa bouche quand on est confronté à la douleur d’un proche, un voisin, un membre de sa famille victime d’agression. Je pense en particulier à la violence conjugale ou la maltraitance des enfants. C’est parfois de la lâcheté, plus souvent une forme de déni. J’aimerais que mes romans permettent de comprendre un peu mieux la violence de notre société dans tout ce qu’elle a de plus dramatiquement banale.

Êtes-vous une auteur engagée ?

Dans le sens de ma réponse à la question précédente, oui. Donner au lecteur une possibilité de mieux comprendre la violence et son lien intrinsèque à notre humanité est pour moi une forme d’engagement. Elle l’est aussi dans l’écriture de mes chroniques judiciaires. Un compte rendu d’audience implique une certaine neutralité, mais il donne également la possibilité de remettre à sa place les victimes et les agresseurs, de rappeler quelques fondamentaux de la loi, comme lorsqu’un viol (qui est un crime) est correctionnalisé (donc devient une agression sexuelle), je n’oublie jamais d’en redonner la définition : le viol est tout acte de pénétration, etc… De manière plus concrète, le fait d’être administratrice de l’association Solidarité femmes 21 est là encore un engagement qui n’est pas sans lien avec les thèmes abordés dans mes romans. J’ai souvent l’impression de me disperser, alors qu’au final, tout me renvoie à la même démarche, utiliser une réalité (celle d’un contexte) et en faire œuvre. Le terme étant utilisé dans son sens premier, c’est-à-dire, utiliser une matière (le réel, le document, les témoignages, l’expérience) pour la transformer et la rendre plus proche, plus lisible pour le plus grand nombre.

Avez-vous besoin de beaucoup vous documenter pour écrire vos romans ?

Grâce à mon travail de chroniqueuse judiciaire, je me documente en permanence ! Et j’utilise effectivement toutes sortes de supports documentaires, articles, essais, études, rapports d’autopsie ou des éléments de dossiers judiciaires. Les témoignages, directs ou écrits sont souvent, au final, les plus importants. Je pense au livre bouleversant de Samira Bellil, Dans l’enfer des tournantes.

La vie d’auteur est une drôle de vie. Avez-vous une anecdote amusante à nous raconter ?

La réalité, la fiction… parfois il faut prendre quelques précautions. J’étais au début de l’audience d’un procès de trafic de stupéfiants, un de ceux dont je me suis inspirée pour décrire ces trafics dans Chiennes, et en regardant le rôle, je vois parmi les noms des prévenus un que j’avais utilisé dans le roman ! Un personnage très secondaire, mais tout de même… Il m’avait pourtant semblé faire attention à ce que cela n’arrive pas, il faut croire que ce nom-là s’était imprimé quelque part dans mon cerveau et a resurgi inopinément. J’ai envoyé illico un sms à mon éditeur pour être sûre de ne pas oublier de modifier ce nom avant que le livre parte chez l’imprimeur !

Pouvez-vous nous parler de Chiennes votre dernier roman ?

L’idée de départ était de parler du viol comme un symbole de domination. Je voulais désigner le machisme particulièrement exacerbé dans les cités et parallèlement, explorer la position des femmes (mères, filles, sœurs…) dans le trafic de stupéfiants, une chose dont on parle peu ou pas du tout. Au même titre que les viols en réunion, les tournantes, ce terme odieux qui désigne le fait de faire tourner sa petite copine, comme on fait tourner un joint. Un phénomène qui touche les adolescentes, et les adolescents en tant qu’agresseurs, et qui reste quasi invisible, parce que ces faits sont tus par les victimes elles-mêmes (comment porter plainte contre son voisin, le copain de son frère, le type qui a grandi dans la même barre ?) et posent un problème d’honneur ou plutôt de déshonneur aux familles.

Le roman s’ouvre sur le suicide d’une adolescente, puis le meurtre barbare d’une jeune femme et enfin la disparition d’une autre adolescente. Aux cœurs de ces évènements se croisent plusieurs individus que l’on découvre d’abord à travers des conversations téléphoniques. Des gens se parlent, s’interrogent, se menacent… une manière également de montrer que le langage est le premier véhicule de la violence. Les filles elles-mêmes se désignent entre elles comme des chiennes, ou des salopes.

Les policiers de la brigade de protection de la famille, les gendarmes de la section de recherches, tous mènent l’enquête au cœur d’une cité, la cité du Soleil, à Dijon, qui a véritablement existé, détruite récemment et qui a été le théâtre de nombreux trafics de stupéfiants dont j’ai pu suivre les procès.

Il y a l’intrigue, il y a l’histoire de ces filles qui mêle plusieurs faits de société ; les tournantes, donc, mais aussi la prostitution, le rapport des jeunes, garçons et filles, à la sexualité, les quartiers gangrénés par les trafics, les victimes collatérales que sont les habitants lambda de ces mêmes quartiers… Mais ce qui m’importait le plus était de circonscrire la problématique aux filles et leurs familles, des victimes, incontestablement, de violences et de viols (jusqu’au meurtre, donc), mais aussi actrices et impliquées dans ce système de domination.

Une plongée au cœur d’une cité, mais aussi le quotidien des flics et leur vie privée plus ou moins impactée par leur travail où une nouvelle affaire chasse la précédente, leur impuissance, leur motivation émoussée par des « dossiers » qui se superposent dans l’indifférence sociétale, sans que rien ne change véritablement.

Avez-vous déjà en tête le thème de votre prochain roman ? Si oui, pouvez-vous nous en parler ?

J’ai plusieurs sujets en tête. Mais rien de précis encore…

Quel est le dernier livre que vous ayez lu ?

Le justicier d’Athènes, de Petros Markaris. Un polar étonnant, qui permet de comprendre un peu mieux, de l’intérieur, la crise grecque. Et je commence Le bruit des ailes qui tombent de mon amie Gipsy Paladini, un thriller décoiffant…

Marie Vindy

Marie Vindy

Marie Vindy est née en 1972 à Dijon, où elle vit actuellement. Passionnée de littérature noire et policière, elle publie son premier roman en 2004, Mektoub (édition Pavic), puis suivront Le Sceau de l’Ombre (1ère édition, 2008) et Nirvana transfert (2011) aux éditions Krakoen, Onzième Parano (2011) chez La Tengo éditions ainsi que de nombreuses nouvelles noires ou érotiques publiées dans des revues et des recueils collectifs.

Chroniqueuse judiciaire pour le journal Le Bien Public, son univers est ancré dans les réalités du crime et du fait divers : braquages, vols, meurtres, viols, incestes, l’auteure se joue des maux de la société et des travers des hommes qui la peuplent pour mieux les faire émerger dans la fiction.

Son cinquième roman, Une femme seule, (Fayard noir, 2012) inaugure une série policière au cœur de la gendarmerie et des paysages d’une France rurale et provinciale, suivi de l’épopée tragique Cavales (2014), aux éditions la Manufacture de livres.

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