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Interview de Nicolas Houguet

29 Mar 2019

Pour l’enfant, amoureux de cartes et d’estampes,
L’univers est égal à son vaste appétit.
Ah! que le monde est grand à la clarté des lampes!
Aux yeux du souvenir, que le monde est petit!

Charles Baudelaire

Le Voyage

Quel est le premier livre que vous vous souvenez avoir lu ?

Croc blanc de Jack London. On en avait parlé à la télé, au Club Dorothée je crois. On disait qu’il faisait pleurer. Et c’était vrai. J’ai mis des semaines à aller au bout, je devais avoir sept ans. Mon père me l’avait ramené un soir.

Quelle est, selon vous, la place de la littérature dans la culture de nos jours ?

Surtout en France, je crois qu’elle est demeurée centrale, en même temps que perpétuellement menacée. À toutes les époques, on a eu tendance à s’alarmer de son déclin, c’est presque un poncif. Elle a toujours tenu. Et elle irrigue bien d’autres domaines (du cinéma aux séries). Sa place est centrale, même dans l’esprit des gens.

Comment l’écriture est-elle entrée dans votre vie ?

Franchement, je ne sais plus. Je me souviens que j’écrivais des pastiches et que je trouvais ça plaisant. C’est devenu sérieux quand j’ai découvert Jim Morrison et Baudelaire. Avant, je dessinais beaucoup pour m’exprimer. Jusqu’à quinze ans. Des visages d’hommes marqués, ridés, sérieux et tourmentés. Et puis les mots ont pris le relais. Avec des pages et des pages que je noircissais de poèmes à l’adolescence.

Quels arguments utiliseriez-vous pour inciter la jeunesse à lire des livres ?

C’est terrible à dire, mais je crois qu’on ne peut obliger personne à lire. Le déclic est intime et se fait ou pas. Ça n’a rien d’une injonction. Je sais simplement que moi ça m’a aidé à vivre. Ça m’a même sauvé parfois, montré le chemin. Sénèque et Dostoievski m’ont donné des réponses et calmé des inquiétudes. Donné une dimension de plus à la vie. Je disais toute à l’heure à Sigolène Vinson que ses romans, à chaque fois, m’enrichissaient d’un monde. Et c’est vrai. C’est formateur comme des grands voyages. Et surtout c’est un refuge. C’est du temps long qu’on prend pour soi. Et c’est devenu une denrée rare.

La vie d’auteur est une drôle de vie. Avez-vous une anecdote amusante à nous raconter ?

C’est une vie très étrange. Vous avez des longs moments où vous êtes seuls et où il ne se passe rien. Et puis c’est une syncope, vous rencontrez vos lecteurs, la plupart du temps, en étant aussi peu physionomiste que moi, vous ne les reconnaissez pas, et eux savent tout de vous. C’est très déroutant. Amusant souvent, flippant parfois. Vous avez quelqu’un qui vous fait une grande déclaration sincère et vous répondez « euh… merci ? ».

Écrire aide-t-il à rencontrer plus facilement ses contemporains ?

Certainement. En tous cas, ça m’aide à rencontrer des gens qui me ressemblent, avec qui je me sens bien et auprès de qui j’ai ma place. C’est comme se retrouver sous une lumière où on se sent à l’aise. Et du coup, ça offre un point de vue, une ouverture aux autres. Une attention. Même quand on raconte sa propre histoire, ce sont les autres qui l’enrichissent ou votre ressenti des autres. L’inspiration vient presque toujours de l’extérieur. Ou de Patti Smith comme c’est mon cas avec ce livre.

Justement, pouvez-vous nous parler de votre dernier roman, L’Albatros ?

Oui je peux. C’est le récit d’un concert de Patti Smith à l’Olympia en 2015. Sauf que quand on va voir quelqu’un qu’on aime sur scène, on va voir des bouts de notre vie qui s’incarnent à chaque chanson. Et qui vous relient, réconcilient toutes les parts éparses de vous. Convoquent des souvenirs, de l’enfance, des deuils et la mémoire d’une très belle histoire d’amour. Et finalement l’art a cet écho universel que j’ai essayé de retranscrire, qui transfigure l’existence de ceux qui l’aiment vraiment. J’ai vécu ce soir là une forme de rite initiatique qui m’a guéri de beaucoup de douleurs. À l’inverse de l’albatros de Baudelaire, je suis arrivé cloué au sol, maladroit, et la chanteuse, à chaque morceau, à chaque incantation, m’a fait retrouver mes ailes.

Que vous apporte le fait de raconter des histoires ?

Ça comble les trous et les frustrations de l’existence, je crois. Ça remet les pendules à l’heure et ça répare un peu la vie. Ça permet de comprendre un peu mieux le monde, de s’y reconnaître, de le peindre à ses couleurs.

Avez-vous en tête l’idée de votre prochain livre ?

Oui. Juste un thème qui m’occupe depuis des mois ou des années. Mais je ne sais pas encore quelle forme cela va prendre.

Quel est le dernier livre que vous ayez lu ?

Mon cœur vient du désert d’Atacama de Juliette Bouchet au sable polaire. Une force d’imagination incroyable, efficace, presque comme un roman américain. Ça parle de l’avenir s’il tourne mal (ou comme il est en train de mal tourner), d’hommes augmentés, technologiquement modifiés, de robots et d’explosions nucléaires. Des liens problématiques dans une famille et entre plusieurs générations de femmes. De survie dans un bunker. Ça pose de grandes et belles questions et c’est traversé d’un grand souffle romanesque.

Nicolas Houguet

Nicolas Houguet

Nicolas Houguet est né en 1978 et a poursuivi des études de lettres modernes, jusqu’à consacrer sa maitrise à Baudelaire. Il a écrit des nouvelles. Il a été notamment reconnu pour son blog littéraire intitulé l’albatros. Il a organisé sa vie pour que son handicap ne soit pas un obstacle à ses passions.

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