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Interview de Marianne Brun

11 Mar 2016

COV_BRUNLaccidentQuel est le premier livre que vous vous souvenez avoir lu ?

Le tout premier ? Un Oui-Oui, forcément. Oui-Oui et le taxi jaune, je crois. Mais mon premier vrai roman de grande, c’était Viou de Henry Troyat que j’avais pris à la bibliothèque. J’avais l’impression de franchir une étape. À vrai dire, je me souviens plus de l’objet-livre et de la couverture que de l’histoire. Ça ne m’a pas emballée. Je pense même que je ne l’ai pas fini.

Pensez-vous qu’il faille être un grand lecteur pour être un bon auteur ?

Il vaut mieux aimer la bonne bouffe pour être un grand cuisinier, non ? Ça tombe sous le sens.

Comment l’écriture est-elle venue à vous ?

C’est enfoui dans la petite enfance, ça ! Si je veux bien faire l’effort de tirer un fil, je dirai que j’ai toujours aimé me raconter des histoires. Des histoires qui font peur, des histoires qui émeuvent. Avec des poupées, des copines, des Playmobil. Le livre a été un prolongement, l’écriture un amplificateur.

Vous êtes à la fois auteur et scénariste. Quelles sont pour vous les différences de traitement entre de ces deux activités ?

En tant que scénaristique, je suis au service de l’autre. Je fais du sur-mesure pour un réalisateur, je me fonds dans son univers et surtout je réponds à un faisceau de contraintes extérieures, à savoir les exigences de chacun, du réalisateur, du producteur, du diffuseur, des financiers etc. J’aime ces contraintes, je les prends comme un jeu. Cela oblige à réécrire un texte des dizaines et des dizaines de fois. Et j’aime le voir se déployer, trouver son sens. Pour cette activité, même si je travaille la majeure partie du temps toute seule dans mon bureau, je me sens entourée, c’est un travail d’équipe. Je ne suis pas noyée dans mon texte. Et le confort optimal par rapport à l’écriture littéraire, c’est qu’au final, même si toutes les scènes viennent de moi, je ne décide de rien. Je propose, le réalisateur dispose. J’invente le cœur léger.

Pour l’activité purement littéraire, c’est tout l’inverse. Je suis seule face à moi-même et à mes exigences. Je soupèse le moindre mot, la moindre virgule. Le texte se déploie avec beaucoup plus de lenteur et de minutie. C’est un travail éminemment solitaire qui apporte une satisfaction incroyable, bien sûr, parce que je peux m’attaquer à des histoires qui me trouble, moi, au premier chef.

Maîtrisez-vous vos personnages ?

En tant qu’auteure, je me pose devant un personnage qui préexiste. Il est là, déjà, bien avant que le texte ne voie le jour. Il est là avec son histoire. Il m’a touchée d’une manière ou d’une autre. J’ai entendu une anecdote à son sujet et j’ai été bouleversée sans que je comprenne bien pourquoi. Lorsque le trouble est durable, lorsque je sens que ce personnage bouscule quelque chose de fondamental en moi, alors je m’assieds et je l’observe. Pour comprendre. Comprendre le message qu’il a à livrer. Je l’observe, ou plutôt je vais le chercher dans la masse, dans son opacité. Je taille, je le détoure, je creuse, je le découvre à tâtons. J’écris, je biffe, je réécris, je jette, je recommence. Et progressivement, il apparaît. Il « jaillit du marbre », il palpite.

Mon travail consiste alors à ne surtout pas l’abîmer, à respecter chacun de ses traits, chacun de ses défauts. Pour cela, je ne dois surtout pas le juger, ni projeter quoi que ce soit sur lui. Je dois m’effacer complètement. Je suis là pour le raconter dans toute sa complexité. Et plus il est souterrain, plus il me fascine ; plus il est dur à extraire de sa caverne, plus je jubile lorsque j’y arrive. J’y arrive lorsque je peux dire que je suis dans le juste, lorsque j’ai fini par le maîtriser. C’est le cas pour Christine, le personnage phare de L’Accident, j’ai réussi à montrer dans toute sa complexité ce qu’est, de l’intérieur, une « mauvaise mère ». Je la maîtrise.

La vie d’auteur est une drôle de vie. Avez-vous une anecdote amusante à nous raconter ?

Hum…. Écrire une scène de viol en pleine nuit, un été de canicule, fenêtre ouverte, lumière allumée, dans une pièce donnant sur un jardin. Être complètement hallucinée par l’emprise que doit subir le personnage, chercher l’intensité maximale. Et d’un coup, se faire attaquer par une flopée d’insectes horriblissimes, des papillons de nuit, des moustiques, des mille-pattes qui courent en crépitant sur le parquet… J’ai cru que je vivais exactement le viol que j’étais en train d’inventer. C’était cauchemardesque ! Conclusion, la vie d’auteure est plus pathétique que drôle… Et encore, j’aurais pu vous parler de ma sciatique récurrente. C’est fou ce qu’on peut être inventive quand on ne peut plus s’asseoir pour écrire…

Pouvez-vous nous pitcher L’Accident ?

Dans un sous-bois en plein hiver, une mère et sa petite fille se retrouvent dans le fossé. L’accident est en apparence banal, cependant, le comportement de la mère va révéler un mal être inattendu…

Et comme je ne suis pas douée en pitching, je rajoute que les âmes sensibles n’ont rien à craindre : j’aime ce qui est souterrain, donc il n’y a aucune scène trash, pas de viol, pas d’inceste, pas de maltraitance physique, rien que du banal en apparence qui peut nous faire toutes basculer dans la position de mère indigne. Les lectrices de Laura Kasischke seront ravies. Et si vous avez aimé Sukkwan Island (2010) de David Vann, voici le pendant féminin.

Qu’y a-t-il de vous dans ce premier roman ?

Comme dit plus haut, je me suis posée devant des personnages et je les ai regardés vivre. Du moins j’ai regardé la petite fille jusqu’au moment où elle comprend, enfin, que sa mère peut être toxique et qu’elle doit apprendre à s’en méfier et j’ai regardé la mère jusqu’au moment où elle comprend, enfin, que cette petite, « la petite » comme elle l’appelle, est sa fille, la chair de sa chair et qu’elle est passée à côté.

Ce qu’il y a de moi, c’est cette fascination universelle pour le personnage : à quel moment je saurai que je suis une mauvaise mère ?

Et c’est quoi la suite ?

J’aimerai bien le savoir ! Je finalise un roman qui sera un conte « pop », ou plutôt « pop-up » comme les livres pour enfants desquels jaillissent un univers étrange. Ça se passe durant l’été 82. Ça parle du grand âge, de l’amour, de la mort. C’est très lumineux. Je traite cette fois-ci de sujets grave avec légèreté.

En parallèle, j’écris un court roman qui sera une tragédie inspirée par la destinée réelle d’une athlète africaine. Ces deux textes sont très différents dans leur facture, mais ils portent mon univers, c’est-à-dire qu’ils se situent sur la ligne de crête entre l’hyper-réalisme et l’irréel. J’aime qu’on perde pied, qu’on se sente sombrer dans le fantastique, délicatement, pour perdre tous repères par rapport à soi. Ça permet d’envisager la réalité des personnages autrement, de les accepter tels qu’ils sont, différents de soi.

Quel est le dernier livre que vous ayez lu ?

Hier soir, une Cabane Magique avec ma fille… Plus sérieusement, Les Vivants de Pascale Kramer. Je ne connaissais pas cette auteure, suisse au demeurant, avant la sortie de L’Accident et tous les journalistes que j’ai rencontrés m’ont parlé d’elle en faisant des parallèles entre nos écritures. Elle vient de sortir un nouveau roman chez Flammarion.

Alors je pars à sa rencontre, pour voir si on se ressemble tant que ça. En attendant, je suis flattée de la comparaison. Son écriture est prodigieuse.

La question surprise de Mélanie Chappuis

Mélanie Chappuis, Genève 5 janvier 2015 © Philippe Pache www.philippepache.comChère Marianne, est-ce que d’entrer en empathie avec des personnages qui en sont dépourvus vous aide à mieux vivre ?

Pas du tout. En ce qui concerne Christine, cette mère indigne en puissance, ma mission était de m’approcher au plus près du monstre qu’est cette petite Médée contemporaine. Qu’elle n’ait aucune empathie a été une vraie contrainte littéraire, mais au niveau moral ou psychologique, ma rencontre avec ce personnage n’a rien changé. J’éprouve juste la satisfaction de l’avoir « cernée ». Et j’espère que les lecteurs sauront que « ça » existe et qu’il y en a d’autres, des femmes comme elles, dans leur entourage, voire dans leurs cuisines…

Marianne Brun

Marianne Brun

Marianne Brun est née en France en 1973.

Après une hypokhâgne et un DEA de Lettres Modernes à la Sorbonne (Paris IV), elle est chargée de développement cinéma (Bord de mer, de Julie Lopes Curval (Caméra d’Or Cannes 2002) ; Brodeuses, d’Éléonore Faucher (Grand Prix de la Semaine de la Critiques Cannes 2004)).

En 2004, elle s’installe en Suisse comme scénariste (Left Foot Right Foot (2014), de Germinal Roaux (3 Quartz du Cinéma Suisse dont Meilleure Photographie) ; L’Enfance d’Icare (2011), d’Alex Iordachescu avec Guillaume Depardieu) et consultante (La Petite chambre (2010), de S. Chuat et V. Raymond (Quartz Meilleur film et Meilleur scénario)).

Elle vit à Zurich avec son compagnon et leurs deux enfants.

L’Accident est son premier roman.

Photo : copyright Camille Budin

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