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Interview de Fleur Zieleskiewicz

23 Mai 2015

fdutaQuel est le premier livre dont vous êtes tombée amoureuse ?

Question subtile 😉

En la matière, j’ai été aussi précoce que légère : beaucoup de coups de coeur, de flirts avec d’innombrables premières ou quatrièmes de couverture et plus si affinité…

Mais procédons par élimination. Le premier livre dont je sois tombée amoureuse est forcément mon premier chagrin d’amour littéraire, un ouvrage quitté à regret.

Il devait être à conquérir, un début qui intrigue, l’envie de connaître la suite, les chapitres qui se succèdent, très vite, et puis l’angoisse qui vous prend à mesure que la fin, inéluctable, approche…

J’ai été très amoureuse du Père Goriot. Je devais avoir onze ou douze ans, un ami de mon père me l’a offert dans une superbe édition, très soignée : mon premier livre précieux. J’ai été impressionnée, je pensais qu’il était trop vieux, trop bien pour moi. Et puis je me suis dit « pourquoi pas ? ». J’ai hésité devant la couverture rigide, la tranche en cuir ; j’ai appris à toucher le papier bible, à ne pas le froisser. Je m’y suis jetée à corps perdu, j’ai appris à ralentir, à tendre le ruban satiné qui sert de marque page comme on tire les rideaux, à repousser, retarder, différer les rendez-vous.

J’ai tout aimé en lui.

J’ai été très triste à la fin.

Mais Balzac est un entremetteur délicieux en ceci qu’il me réservait toute une Comédie Humaine pour me consoler. J’ai pu me bâfrer, j’en ai tourné des pages mais n’ai plus rien retenu !

J’ai gardé ce livre de déménagement en déménagement. De mes ex, c’est celui qui a le mieux vieilli, je l’ai presque toujours sous la main, c’est pratique. Je le convoque à loisir, il n’a plus la même emprise sur moi. Maintenant, c’est moi qui le manipule.

Fragments d’une traque amoureuse, sorti le 13 mai, est votre premier roman. Comme la majorité des premiers romans, est-il autobiographique ?

Parler d’autobiographie est inadéquat. Ma vie n’est pas intéressante, la vie en général n’est pas quelque chose de très intéressant… En bien ou en mal, la réalité n’est supportable que déformée, travestie, sublimée. Moi, ce que j’aime c’est raconter des histoires.

Comme mon héroïne, Hana, j’ai une vie onirique très intense, je suis gentiment cinglée, j’aime aller au bout des choses. Mon processus créatif s’est inscrit dans un cadre empirique. Je voulais écrire « un truc » sur les aéroports. J’ai décidé à un moment qu’il fallait qu’il se passe quelque chose d’extra-ordinaire dans ma vie. J’ai harponné l’idée d’un Dick qui passait par là, d’une grande histoire d’amour à sens unique et je ne l’ai plus lâchée. Une stalkeuse, un pitbull. J’ai hanté des dizaines d’aéroports pendant 3 mois, je rebondissais en temps réel sur ce que je provoquais ou imaginais. Je ne dormais plus. Je me suis laissée partir. J’ai fait très peur à ceux que j’aime.

Si je devais me la péter un peu, je dirais que Fragments d’une traque amoureuse est une autofiction menée comme une performance !

Votre héroïne est sensible aux signes. Quels sont les signes qui vous ont amené à être éditée ?

La chance ! Ma rencontre avec l’infâme Roland Jaccard, le printemps de mes 17 ans. Je lisais un panneau récapitulant l’historique du lieu, il m’a abordée : « C’est la première fois que vous venez au Jardin de Luxembourg ? »… Nous avons bavardé, il a inscrit le nom du bouquin qu’il venait de publier avec François Bott, Dominique Grisoni et Yves Simon au dos d’une Cartapub. Le livre s’appelait les Séductions de l’Existence, le recto de la carte représentait l’affiche du film Une Erreur de jeunesse 😉

Il m’avait confondu, de loin, avec une fille qu’il connaissait. J’ai appris plus tard que la plupart des filles qu’il « connaissait » se ressemblaient : brunes, fines, cheveux raides, une frange si possible…

Plus de 20 ans plus tard, j’ai déménagé dans sa rue. Lors d’un dîner il m’a demandé sur quoi je bossais, il a aimé mon idée d’aéroports. Deux jours plus tard, il laissait sur mon répondeur un message me disant que son éditeur (L’Éditeur – Olivier Bardolle) était « emballé par le projet ». Il voulait une vingtaine de pages rédigées. Je n’avais pas de « projet » !!! Nous sommes convenus de nous voir une semaine plus tard, j’ai embarqué mon casque, mon ordinateur, mon téléphone : direction Orly. J’ai pris un billet pour le prochain vol, je suis passée en zone sous douane et je me suis mise à écrire. Bardolle a aimé l’ambiance hypnotique des premiers fragments, il m’a dit « tu me livres 200 pages aussi bien avec une histoire et j’envisagerai de t’éditer ». Je suis partie en voyage dans plein d’aéroports et dans les zones les plus reculées de ma tête. J’ai signé à la fin de l’été. Bardolle est un homme de parole. Jaccard, mon meilleur ami.

Écrivez-vous dans les gares, les aéroports ou bien au chaud chez vous ?

Les gares, définitivement non; j’aime pas ça. Pour Fragments d’une traque amoureuse, j’ai essentiellement écrit dans des aéroports. Pendant plus de trois mois, j’ai parcouru des kilomètres de couloirs, accumulé pas mal de miles mais n’ai, la plupart du temps, que deviné des villes où je me posais ce que l’aéroport voulait bien m’en dire… J’écrivais, je regardais, je photographiais, j’écoutais…

Le travail de rédaction à proprement parler s’est fait dans et sur mon lit, à Paris.

Pensez-vous qu’il faille être un grand voyageur de la vie pour être un bon auteur ?

De la vie, je ne sais pas… Ce n’est pas le voyage de l’auteur qui compte mais le talent avec lequel il nous donne envie de le suivre. En ce sens, un bon auteur serait plutôt un super tour operator qu’un grand voyageur de la vie !

Est-il important qu’un roman, à l’instar d’un film, ait une bande originale ?

Important ? Non. La bande-son de mon roman s’est imposée d’elle-même, je ne l’ai pas plaquée de manière artificielle : j’ai travaillé en musique ! Parfois, ce que je voyais ou vivais me donnait envie d’écouter tel ou tel morceau. D’autres, c’est la chanson qui passait qui dirigeait mon regard et mon imagination.

Comme vous le souligniez, Hana croit aux signes. Je laissais jouer le hasard, en mode aléatoire. Je lançais des pistes (selon les diverses acceptions de ce mot) et en avant la musique !

Et puis, il s’agit d’une histoire d’amour pour le moins contrariée : mélodies et textes me mettaient dans le bon mood !

Le plus important dans un roman, c’est « la petite musique » propre à l’écriture de chaque auteur…

Ma bande-originale est aussi une manière de documenter mon propos : quand un auteur accumule les private jokes, je me sens exclue ! J’ai voulu que mes lecteurs puissent la retrouver facilement.

Mais attention, cette bande-son est une proposition, pas une obligation. J’aime les livres parce qu’ils me laissent libre d’imaginer ce que je veux autour de l’histoire que l’on m’offre. Mais j’aime aussi les choses ludiques, originales, les constructions tarabiscotées, le principe des poupées russes : j’aime le cinéma, les bonnes séries télé. J’ai conçu le site internet de mon roman en pensant aux Histoires dont vous êtes le héros que j’adorais, enfant. Suivre ma bande musicale, regarder mes photos est une manière d’aborder l’intrigue sous l’angle de ma subjectivité. C’est un bonus pour une expérience différente. Fragments d’une traque amoureuse est un roman ; c’est aussi un projet global intégrant en quelque sorte le making-off du livre.

Les gens qui se sont prêtés au jeu se sont beaucoup amusés !

Les réseaux sociaux sont très présents dans votre roman. Le sont-ils tout autant dans la vie médiatique d’un auteur ?

« Vie médiatique d’un auteur »… Pour la plupart d’entre nous, les réseaux sociaux sont les seuls médias où nous aurons jamais l’occasion de nous exprimer ! Alors oui, c’est important. Le pire qui puisse arriver à un auteur n’est pas de se faire démonter dans la presse ou à la télé : c’est de sortir son bouquin et qu’il ne se passe rien. Et ça, c’est dans 99% des cas.

Alors, avoir des amis ou des followers sur Facebook, Twitter, Instagram, Youtube nous aide à nous sentir moins isolés. Oui, on a l’impression d’exister, dans un monde pas si dématérialisé que ça : être tout seul derrière notre écran, c’est notre quotidien !

Pour je ne sais quelle raison gros lecteurs et amoureux de littérature sont sur le net. Je découvre chaque jour de nouveaux blogueurs ou booktubeurs talentueux, passionnés, hyper investis dans ce qu’ils font… Et il y a toute cette chevalerie de libraires indépendants qui mène une résistance féroce.

Sur internet et les réseaux sociaux, il y a du sexe, de la drague, pas mal de conneries mais aussi beaucoup de profondeur, de délicatesse, de fragilité, de talents, de générosité. Quand un blogueur prend le temps de vous lire, de préparer une interview, de la mettre en forme dans son back-office : il n’est pas payé pour ça ! Une bloggeuse mode ou beauté peut considérablement arrondir ses fins de mois avec les cadeaux des marques. Le mec et la nana qui écrivent dans leur coin sur les livres qui leur plaisent, ils ont quoi ? Wow ! Un bouquin en service de presse… Trois exemplaires à faire gagner dans le cadre d’un jeu concours… Deux pékins qui vont pousser la porte de leur librairie de quartier ! Internet et les réseaux sociaux offrent la médiatisation aux livres et aux auteurs que les maisons d’édition sont dans l’incapacité financière d’assurer et que les médias traditionnels ne pourraient en aucun cas absorber : trop de livres !

Codes, copinages, leaders et suiveurs, tout n’y est pas rose mais dans un cadre qui laisse la part belle aux individualités et initiatives originales.

Il y a aussi toute cette grande famille d’écrivains qui tombe le masque : on est tous là, exposés, comme des cons à assurer la promo et le service après-vente de nos bouquins, à balancer des mots d’esprit sur Twitter ou Facebook mais on n’en mène pas large. Il nous est extrêmement agréable d’échanger avec nos lecteurs.

Auteurs, responsables éditoriaux, correcteurs, éditeurs, imprimeurs, commerciaux, attachés de presse, libraires, journalistes, blogueurs… Tout ce beau monde se casse le cul pour vendre 500 exemplaires d’un titre en moyenne !

Alors oui, chaque voix, chaque retweet, chaque like, chaque post compte 😉

Avez-vous pensé prendre un pseudo moins rémunérateur au Scrabble ?

Je ne suis pas quelqu’un d’intéressé : je perds à tous les coups au Scrabble… Il y manque un « Z » !
Mais Zieleskiewicz, en prenant une bonne inspiration, c’est simple : ça donne « zileskivitch » 😉

J’ai la chance d’avoir un prénom qu’on retient comme une image. Fleur Z… ça suffit, ça me va bien.

Avez-vous déjà en tête le thème de votre prochain roman ?

Oui ! Je me lance dans une nouvelle aventure saugrenue ; je tiens ma nouvelle idée fixe…

Quel est le dernier livre que vous avez eu du mal à quitter ?

J’ai eu des flirts exquis… Pour avoir du mal à quitter, il faut aimer vraiment, non ?

Ce vieux gredin d’Hilsenrath est mon nouvel amour (Le Nazi et le Barbier, Nuit, Fuck America, le Conte de la Dernière Pensée…), je le trompe avec Zweig et Bukowski.

Fleur Zieleskiewicz

Fleur Zieleskiewicz

Fleur Zieleskiewicz a grandi au pays de la quiche lorraine et de la Reine de la Mirabelle avant de s’enfuir pour Paris.

Elle met ses talents littéraires au service des marques et de la publicité puis monte une web-agency qu’elle mènera à la faillite.

Usée par un monde qui manque cruellement d’humour et de poésie, elle décide de faire une pause pour se consacrer entièrement à son organisme et au grain qu’elle a dans la tête.

Fleur lit Houellebecq, Despentes, Jaccard, Nothomb, Beigbeider et plutôt des romans américains.

Fleur écoute Cat Power, du rock et des chansons hippies.

Fleur aime les chats, les gens, le fromage, le vin, Balzac, Zweig, Nin, Cioran, Bukowski et les Kardashian.

Elle vit actuellement à Paris et fait ce qui lui plait.

Fragments d’une Traque Amoureuse est son premier roman.

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