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Interview de Luc Blanvillain

19 Août 2015

BlanvillainQuel est le premier livre que vous vous souvenez avoir lu ?

J’aimerais pouvoir répondre L’Odyssée mais c’est Oui-Oui et la voiture jaune, comme tout le monde.

Pensez-vous qu’il faille être un grand lecteur pour être un bon auteur ?

Les généralités – comme celle que je profère à l’instant – sont toujours mensongères. Personnellement, je lis tout le temps. Mon désir d’écrire procède du plaisir de lire et s’en nourrit en permanence. Mais la réciproque est vraie.

Vous êtes professeur de lettres. Quelle est la méthode pour donner l’envie de lire aux plus jeunes ?

Ceux qui prétendent la connaître m’ont toujours semblé bien présomptueux. Je ne suis pas certain que l’envie de lire se communique. Il me semble qu’il s’agit plutôt d’une nécessité absolue, vitale, pour celui qui l’éprouve. La lecture est un acte intime, passionnel, mystérieux. En tant que professeur, j’interviens à un moment – le pire sans doute – de la vie des jeunes, je m’efforce de les guider vers la littérature, en tenant compte, autant que possible, des exigences institutionnelles. C’est difficile.

Dans quelles circonstances avez-vous écrit votre première histoire ?

Dans mon souvenir, il s’agissait d’un roman de chevalerie, destiné à mon institutrice de CE2. Je l’avais composé, calligraphié, illustré et abondamment agrafé. Encore aujourd’hui, j’adore agrafer.

Les auteurs sont-ils des âmes seules ?

Certainement. Et aussi des corps endoloris. Le titre de mon dernier livre renvoie peut-être au livre de Sherry Turkle, Seuls ensemble, analyse passionnante des effets du numérique sur notre psyché. Mais il a probablement aussi des prétentions métaphysiques, liées à sa polysémie. Nos âmes seules peut aussi se comprendre Seules nos âmes. Le « nos » n’est pas à négliger non plus. Pour essayer de répondre sérieusement à votre question, qui me paraît très éclairante, je crois que chez ceux qui nourrissent, même modestement, quelques ambitions artistiques, se développe un goût immodéré pour la solitude. Mais les généralités, vous savez…

Votre actualité est riche. Vous sortez aujourd’hui (19 août) un livre jeunesse intitulé Mes parents sont dans ma classe. Pouvez-vous nous en parler ?

Il s’agit encore, comme pour mes précédents livres jeunesse, d’une sorte de comédie, ou de fantaisie, issue de mes ruminations vagues sur le monde tel qu’il tourne. L’idée, car c’est un livre qui repose sur une idée, est que les parents de la narratrice retrouvent un beau matin leur corps d’enfant et l’accompagnent au collège. À partir de là, on peut tout imaginer, bien sûr. J’avais envie de parler de ce fameux enfant prisonnier en chaque adulte. Je le libère le temps d’un livre. C’est une façon ludique de reconsidérer ma propre enfance, mon passé, mes rôles de père et de professeur.

Après avoir écrit pour la jeunesse, vous sortez, demain (20 août), votre premier roman « adulte ». Qu’est-ce que ça fait de passer dans la cour des grands ?

J’ai toujours considéré l’aventure de l’écriture comme absolument passionnante, à toutes ses étapes, depuis les premiers linéaments du livre qui flottent au fond du cerveau jusqu’aux échanges avec les lecteurs. Écrire pour la jeunesse m’a donné l’occasion de rencontrer des gens vraiment extraordinaires, des éditeurs qui m’accompagnent dans mes délires, m’aident à les explorer davantage et à leur donner une forme, des auteurs, beaucoup d’auteurs, des jeunes, des parents, des bibliothécaires, des professeurs. C’est vraiment une expérience humaine inouïe, d’une richesse et d’une fécondité incroyables (non je ne lésine pas sur le superlatif, et je vais continuer car deux de mes livres viennent d’être traduits en coréen). Je n’ai pas le sentiment de « passer dans la cour des grands », d’abord parce que rien ne pourra me déloger de mon bac à sable, ensuite parce que la « littérature générale » comme on dit s’inscrit pour moi dans une continuité avec ce que j’ai fait précédemment. En l’occurrence, je voulais explorer l’existence d’un jeune homme de vingt-cinq ans qui travaille à la Défense. Je me suis documenté, j’ai recueilli des témoignages, je me suis aperçu que j’avais beaucoup à dire sur la vie connectée, sur l’amour au temps de l’algorithme. Je suis très heureux que ce livre existe grâce à Denis Bouchain, à Jack Chaboud, à Lisa Liautaud, à Muriel Beyer, à Vincent Barbare, entre autres, qui m’ont fait confiance. J’avais déjà publié un livre jeunesse chez Plon et j’en garde un excellent souvenir. L’équipe éditoriale de Plon roman est enthousiaste, énergique. L’objet-livre est magnifique. J’attends la terrifiante « rentrée littéraire » avec beaucoup d’impatience, bien sûr. J’espère que ce roman trouvera ses lecteurs et leur parlera.

Le pouvoir et l’amour peuvent-ils cohabiter ?

Si j’écris des romans, c’est justement parce que je suis incapable de construire une réflexion philosophique sur des questions telles que celles-ci. J’essaie juste de les approcher, dans une sorte de tâtonnement stylistique. Mon ambition serait de trouver comment ces problèmes peuvent s’écrire aujourd’hui, comment faire jouer les langages qui nous traversent, l’horrible vocabulaire corporate, le sabir marketing, et le désir de beauté qui anime l’écriture. La question que vous posez a vocation, comme toutes les questions, à demeurer une question donc à engendrer des livres, à l’infini.

Avez-vous déjà en tête le thème de votre prochain roman ? Si oui, pouvez-vous nous en parler ?

Mon prochain roman est déjà écrit. Il devrait paraître au printemps, à l’école des loisirs. Il aborde un certain nombre de sujets plus « sérieux », peut-être, que ceux de mes autres livres pour la jeunesse. L’errance sentimentale, l’illettrisme, l’altérité. Mais il y a des passages rigolos, je crois.

Quel est le dernier livre que vous ayez lu ?

Je suis plongé dans l’univers de Kate Atkinson, que je n’avais pas encore découvert. Je suis éperdu d’admiration pour cette femme. En ce moment, je lis Parti tôt, pris mon chien.

Luc Blanvillain

Luc Blanvillain

Il naît le 7 novembre 1967 à Poitiers.

Après des études de lettres, il passe les concours de l’Éducation Nationale et devient professeur de lettres.

Son goût pour la lecture et pour l’écriture se manifeste dès l’enfance et se caractérise d’emblée par un éclectisme gourmand. Il s’enthousiasme pour les romans d’aventures, pour la bande-dessinée, pour la science-fiction, avant de découvrir, au lycée les œuvres du patrimoine classique, le théâtre et la poésie. Les chansons, notamment celles de Georges Brassens, auront une grande influence sur lui.

Chaque lecture provoquant irrésistiblement chez lui un désir d’écriture, il touche à tous les genres, compose des pièces de théâtre, des chansons, des nouvelles, avant de se spécialiser dans le roman.

Les récits pour la jeunesse lui permettent de retrouver l’émerveillement de ses premières lectures. Ils lui offrent également la possibilité d’aborder certaines questions liées au monde de l’adolescence, et qu’ils jugent importantes.

L’adolescence est pour lui une terre de jeu subtile où il a plaisir à faire se rencontrer les grands mythes littéraires et la novlangue de la com’, des geeks, des cours de collèges et de lycée. Le chat de l’héroïne de Dans le cœur d’Alice se nomme Homais, personnage de l’œuvre de Flaubert. Il évolue entre les lignes de l’histoire, se faisant caresser par tous les personnages du roman. Métaphore de notre rapport à la grande littérature. Homère caché derrière Mac Do. Pour un monde réel plus beau, plus fort, qui existerait au moins dans les livres.

Ses personnages, même s’ils sont embarqués dans une course contre la montre émaillée de surprises et de péripéties, n’en perdent pas pour autant l’occasion de mettre le nez dans un dictionnaire. L’occasion pour eux de comprendre les expressions toutes faites, les idées toutes pensées qui les déroutent. L’apprentissage des sentiments passe par des vraies épreuves de force qui mêlent l’amour et la mort mais aussi par un dialogue amoureux musclé qui traduit les aspirations des jeunes femmes contemporaines.

Photo : Bruno Klein

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