Interview de Hafid Aboulahyane
Quel est le premier livre que vous vous souvenez avoir lu ?
J’ai commencé à lire mon premier livre quand j’ai arrêté l’école à 16 ans et demi. C’était Homme invisible, pour qui chantes-tu ? de Ralph Ellison, un livre sur la condition des noirs américains du début du 20ème siècle.
Pensez-vous qu’il faille être un grand lecteur pour être un bon auteur ?
Je ne crois pas. Quand tu as envie d’écrire, tu écris. Moi, à la base, j’écris des scénarios. Des idées, j’en ai plein la tête à la seconde… C’est mon pétrole à moi… (rire) C’est une question de feeling, de ressenti des choses. Je ne me revendique pas comme un écrivain mais un témoin de mon époque. Je ne suis pas un intello, je n’ai pas fait d’étude. J’apprends tous les jours, dans la simplicité. Je suis un chroniqueur de mon quotidien.
Vous êtes comédien. Est-ce qu’un auteur est un acteur par feuille interposée ?
Je dois vous avouer que je suis actuellement comédien comme un remplaçant sur le banc de touche. Je suis en manque de jeu. J’écris pour exister artistiquement. Le jeu j’adore. Je me suis découvert sur le tard une passion pour la scène. Le sang pur du comédien est là. La vérité est au théâtre. je rêverais de jouer un jour Othello, ou L’Illusionniste de Sacha Guitry.
Vous êtes également réalisateur. Préférez-vous raconter des histoires avec une caméra ou un clavier ?
Pour moi c’est pareil. Écrire un scénario, c’est sur un clavier comme pour un livre. mais j’écris à l’ancienne, au stylo, ça fait travailler les doigts. Le stylo, c’est de la matière grise indélébile. Le clavier est fourbe. Une panne est tout ce que vous avez écrit part à la poubelle, et on recommence tout ! (rire)
Vous avez écrit votre premier roman, 31 février, à 35 ans. Quel a été le déclic ?
J’ai écrit mon livre à 35 ans avec la collaboration d’un co-scénariste, Marc Gautron. Au début, 31 février était un film, un scénario. Quelque part, j’ai toujours voulu écrire, je ne sais pas pourquoi. J’ai écrit mon premier livre intitulé Du beur dans les épinards en 2000. J’ai gardé le manuscrit. Je savais au fond de moi qu’un jour j’écrirais un roman. Quinze ans plus tard, c’est fait. Une belle victoire personnelle et une fierté d’autant plus grande que j’étais vraiment un cancre à l’école. Je n’ai pas mon bac, juste la hargne, la persévérance.
A-t-il été difficile de trouver un éditeur pour ce premier roman ?
J’ai fait une très belle rencontre, la directrice littéraire des éditions Plon, Muriel Beyer, qui a mis la lumière sur mon travail et qui a présenté le projet au comité de lecture de chez Plon. Oui, je crois aux rencontres. On fait des métiers où il faut toujours persévérer parce que on ne sait jamais d’où va venir la lumière. Ça a été une rencontre, un feeling, comme une histoire d’amour. Ce qui a été ensuite le plus dur, c’était de tout reprendre l’histoire du roman et de s’enfermer pour écrire pendant deux ans et demi… Ce fut une période très dure. J’étais au RSA, des problèmes d’argent, les huissiers qui me courraient après, des retard de loyers… Un vrai combat et malgré tout ça, je suis allé jusqu’au bout.
Est-il prévu qu’il devienne un film ?
On est en pleine prépa. J’ai trouvé un producteur pour l’aventure et j’en suis très heureux. Pour tout vous dire, ça fait plus de cinq ans que j’essaie de le monter. J’ai un bon casting. J’ai tourné un pilote en novembre 2013. Et si tout va bien, on va commencer le tournage à l’automne 2015 au Maroc. je voulais dire aussi que pour faire la promo d’un livre c’est très compliqué, surtout lorsque vous n’êtes pas un auteur connu. J’ai été déçu de la façon dont la promo s’est faite. Surtout, je ne comprends pas les chaînes du service public qui osent vous dire « on ne vous invite pas parce qu’on ne fait pas d’audimat avec les auteurs inconnus du grand public » et ensuite, vous apprenez que ces journalistes invitent leurs amis et leurs copains. Je trouve cela dégueulasse, surtout venant du service public. Je m’en tape, j’ouvre ma gueule parce que y en a marre que ce soit toujours les mêmes qui se partagent le gâteau. Et j’espère que cela va vraiment changer ! C’était mon coup de gueule.
La vie d’auteur est une drôle de vie. Avez-vous une anecdote amusante à nous raconter ?
Quand 31 février est sorti, j’ai communiqué sur Facebook. Et j’ai retrouvé mon ancien prof de CM1, celui qui me disait que j’étais un cancre confirmé. Il m’a écrit pour me demander comment j’avais pu écrire un livre alors que j’étais nul en tout, toujours tête en l’air. Je lui ai répondu que depuis petit je voulais être un artiste touche à tout, que je suis un autiste de l’Éducation nationale, que j’ai appris sur le tas. Il m’a répondu en me félicitant et m’a même demandé pardon pour m’avoir jugé. « Sache une chose, Hafid, c’est que tu as écrit un livre avant tes quarante ans, contrairement à moi qui ai toujours voulu écrire depuis 30 ans. » L’ancien maire de la ville des Ulis où j’ai grandi a lu mon livre. il a su que je faisais des films. Il m’a demandé de faire embaucher sa fille dans le cinéma alors qu’il y a 10 ans, il m’a refusé une subvention pour financer un projet pour la ville. Vous voyez comment la roue tourne. (rire)
Avez-vous déjà en tête le thème du prochain roman ?
Ce n’est pas pour toute de suite. Ce sera un témoignage sur le thème de l’inconscient qui domine plus qu’on ne le pense. Avant ça, je dois tourner mon film 31 février et boucler mon financement et mon casting.
Quel est le dernier livre que vous ayez lu ?
L’oiseau Bariolé de Jerzy kosinski. Et Boumkoeur, Visceral, Mon nerf aux éditions du Seuil de mon ami Rachid Djaidani, un des auteurs qui m’a redonné le goût à la lecture. Merci à vous d’avoir mis la lumière sur mon travail.
Hafid Aboulahyane
Né en 1978, à Orsay dans l’Essonne (France).
En 1994, il s’inscrit au cours d’art dramatique Dominique Viriot, pour trois ans. À partir de 1999, il fait ses premiers pas au théâtre, très vite suivis de rôles pour le cinéma et la télévision. Parallèlement, il s’initie à l’écriture de scénarii et à la réalisation. En 2005, il crée sa société de production et produit des courts métrages et des documentaires de jeunes talents issus de la banlieue.
Ses propres films se composent de « La Chemise bleue » (2007), « Le Forum » (2007) et « La marche des crabes » (2009).
Pour en savoir plus sur Hafid Aboulahyane : www.hafidgood.com