Interview de Titiou Lecoq
Quel est le premier livre que vous vous souvenez avoir lu ?
Enfant, je lisais énormément, notamment la bibliothèque rose. Chronologiquement, tout se mélange un peu dans ma tête. Mais je me rappelle très précisément de ma lecture du Capitaine Fracasse de Théophile Gauthier. J’avais 9 ans, on était en vacances aux Baléares. Je crois que, même si bien sûr je ne me le formulais pas, c’est la première lecture où j’ai été captivée par le style. Dans la Bibliothèque Rose, ce qui comptait c’était l’histoire. Là, dans Fracasse, j’étais fascinée par les descriptions, par la manière dont l’auteur créait une ambiance, parvenait à nous mettre sous les yeux un décor.
Votre bio prétend que vous avez débuté votre carrière littéraire en réécrivant la fin des romans de la Comtesse de Ségur. Mais dans quelles circonstances avez-vous écrit votre premier roman ?
Oula… Enfant, je réécrivais la fin des romans de la Comtesse de Ségur donc. (Je trouvais notamment qu’elle ne mariait pas bien Sophie.) Ensuite, au collège, j’ai écrit le premier chapitre d’un roman qui se passait dans un cirque, les cinq premiers chapitres d’un roman atroce qui ressemblait à un croisement monstrueux entre deux séries : Beverly Hills 90210 et Côte Ouest. Au lycée, j’ai écrit un court roman qui était une resucée de l’Invitée de Simone de Beauvoir. Après, j’ai décidé d’arrêter de défigurer la littérature. Mais en DEA, vers 25 ans, j’ai écrit un roman pour le coup original. Il y avait de bonnes scènes, de bons personnages, de bons dialogues. Je l’ai envoyé à des éditeurs qui l’ont tous refusés. Il n’y a que le Dilettante qui m’a écrit une vraie fiche de lecture où ils me disaient qu’il y avait de bonnes scènes, de bons personnages, de bons dialogues mais que j’avais oublié d’y mettre une histoire. En effet, il ne se passait rien pendant tout le roman.
Du coup, j’ai décidé de me donner une dernière chance. Et j’ai écrit les Morues (avec une intrigue policière qui me forçait à mener quelque part les personnages et ne pas réitérer mon erreur).
En tant que blogueuse (Girls and Geeks), pensez-vous qu’il faille donner la parole aux auteurs ?
Je vais faire une réponse très conne : ça dépend s’ils ont quelque chose à dire. Récemment, j’ai lu une intervention de Virginie Despentes au sujet du cinéma (et comment dans les films, les actrices enlèvent toujours leurs culottes), c’était passionnant.
Le blog est-il au roman ce que le one man show est au cinéma ?
C’est pas mal comme comparaison. Il y a un peu de ça dans la forme décousue du blog, le fait de saisir un instant, et bien sûr l’énonciation à la première personne. De plus en plus, je suis convaincue que le blog est une forme littéraire à part entière. Un outil technique qui a permis une forme de création totalement originale. Du coup, je vois mon blog comme un travail littéraire en parallèle du reste, un travail jamais fini, toujours en cours d’élaboration.
Je suis un mec qui lit. Suis-je normal ?
En tout cas, vous êtes rare ! Le lectorat est plutôt féminin, alors que les auteurs médiatiquement reconnus sont majoritairement des hommes. CQFD
Mais de toute façon, être lecteur est-ce que c’est normal ? S’enfermer en tête-à-tête avec des personnages de fiction, je ne suis pas certaine que ce soit un comportement normal. Chez tous les lecteurs, il y a une faille qui nous pousse à chercher autre chose, une chose que le réel ne nous propose pas.
Pensez-vous qu’il faille être un grand lecteur pour être un bon auteur ?
Oui, je crois. En tout cas, il faut apprendre à maitriser la langue et pour ça, lire reste le meilleur moyen. Dans le très bon livre de Stephen King sur l’écriture, il dit la même chose. (Je le conseille à tout le monde, même ceux qui n’aiment pas spécialement ses romans.)
Le web est omniprésent dans vos romans. Pourriez-vous écrire un roman se passant dans les années 60 ou 70 ?
Je ne crois pas. Mais pas à cause du web. Simplement parce que ce qui m’intéresse le plus, c’est d’essayer de décrire notre société actuelle, et comment chacun se débrouille pour y vivre plus ou moins bien.
C’est quoi La Théorie de la tartine ?
C’est ce qu’on appelle la loi de Murphy qui veut qu’une tartine qui tombe tombera toujours du côté beurré. Il parait qu’il y a une explication scientifique liée à la hauteur moyenne de nos meubles et la taille humaine. Si on faisait un mètre de plus, peut-être qu’elle tomberait de l’autre côté. Après, d’un point de vue plus symbolique, c’est la loi de l’emmerdement maximal, qui est aussi une règle de dramaturgie. Si quelque chose peut mal se passer, elle doit mal se passer mais surtout de la pire manière possible. C’est en gros ce qui arrive aux personnages de mon roman.
Avez-vous déjà en tête le thème de votre prochain roman ?
Oui, j’aimerais écrire sur la famille. Je me dis que maintenant, je suis assez grande pour le faire.
Quel est le dernier livre que vous ayez lu ?
Laura Kasischke, Esprit d’hiver. Je l’ai fini une nuit vers 1h du mat et autant dire que j’ai très mal dormi après… Elle a une manière machiavélique de mélanger une grande poésie, une douceur infinie et une violence tout aussi infinie.
Titiou Lecoq
Née en 1980, Titiou Lecoq débute sa carrière littéraire en 1988 en réécrivant la fin des romans de la Comtesse de Ségur. Elle passe ensuite de nombreuses années à boire du café et à étudier la sémiotique avant de se mettre à la recherche d’un vrai travail. Gardienne d’immeuble, hôtesse d’accueil, secrétaire, banquière, assistante d’éducation, agent à l’ANPE. Finalement, elle devient journaliste pigiste pour divers magazines et ouvre un blog qui croise les thèmes de l’internet, du sexe et des chatons.
Pour en savoir plus sur Titiou Lecoq : www.girlsandgeeks.com
Photo : © Agence Anne & Arnaud