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Interview de Thérèse André-Abdelaziz

22 Juil 2015

Couverture Ferme la porteQuel est le premier livre que vous vous souvenez avoir lu ?

Probablement Les contes de Perrault et ceux des Frères Grimm, en particulier Peau d’âne et La Belle et la Bête qui m’ont vraiment marquée.

Dans quelles circonstances avez-vous écrit votre première nouvelle, votre premier roman ?

La nouvelle : grâce à un concours organisé par le Collège des Bardes de Bretagne. J’avais 16 ans, j’étais la plus jeune concurrente et j’obtins le second prix. J’ai publié des nouvelles fantastiques à la fin des années 60 dans les 1ers fanzines (imprimés sur ronéo) dédiés à l’insolite et à la science-fiction : Mercury et Lunatique.

Le roman : j’y suis venue poussée par le besoin d’explorer cette forme d’écriture. Mon tout premier, à 13/14 ans, sur cahier d’écolier, est resté à… l’abri du succès… J’en ai ébauché plusieurs, en ai terminé et expédié un à 18 ans : « Continuez, continuez, soyez le scribe du quotidien » m’écrivit Jean Cayrol, qui dirigeait le Seuil.

Le troisième, Khaled et les autres, fut refusé par les grandes maisons d’édition. J’en ai tiré une pièce radiophonique, la cinquième, programmée par FR3 Rennes au début des années 70.

Avez-vous des habitudes d’écriture ?

Je suis dans l’urgence d’écrire depuis l’enfance et j’écris tous les jours. Je n’ai pas forcément de méthode, je puis écrire des heures d’affilée ou alors fragmentées, voire la nuit car j’ai besoin de silence. Lorsque j’avais les quatre enfants, j’ai écrit dans des conditions extrêmement difficiles. La gestation d’un livre débute par une période plus ou moins longue où surgissent des phrases qui reviennent en leitmotiv, où s’installent décors et personnages. Je tire sur le fil de la pelote, une idée en amène un autre et j’écris le premier jet en neuf mois. Je procède par petites touches et le texte se construit en « spirale ». À mon insu. Ensuite, manuscrit en veilleuse et reprise. Exigeante, j’élague beaucoup, obsédée par le mot juste. Je relis mes phrases tout haut pour la sonorité et l’harmonie ce qui peut prendre un certain temps.

Par ailleurs tous mes textes sont au présent de l’indicatif depuis pas mal d’années, sauf exception.

Pensez-vous qu’il faille être un grand lecteur pour être un bon auteur ?

Je suis une boulimique de lecture. Mes premières amours et mon premier royaume ! Les livres m’ont ouvert des portes, des pistes, éveillé ma curiosité. Autodidacte, ma soif d’apprendre m’aura apporté la liberté, celle de ne pas être formatée par des lectures imposées. Et ça, c’est immense !

Cependant un grand lecteur ne fera pas forcément un bon auteur. Certes, quand on écrit, il faut s’être nourri et se nourrir de livres mais il faut également savoir s’en détacher au moment d’écrire afin de se concentrer sur son travail. Personnellement je ne puis écrire et beaucoup lire en même temps.

L’écriture est une école de concentration et je crains d’être influencée. En phase d’écriture j’évite les librairies surtout à la rentrée littéraire car je doute de moi.

Vous avez quitté l’école à 14 ans et pourtant vous avez une vraie passion des mots. Apprend-on mal la littérature à nos enfants ?

Je l’ai quittée à mon corps défendant ! À 9 ans, j’aurais pu entrer en 6ème dans un collège public, mais mon père ne voulait pas d’une école sans Dieu. Les frais d’internat dans le privé étant lourds, malgré les bourses, j’ai végété trois ans dans la classe du certif’. Un vrai purgatoire ! Amoureuse des mots, je jouais avec eux au début, puis je me suis fabriquée des « livres » de contes et d’aventures reliés avec du coton DMC… J’allais jusqu’à « inventer » des rédactions à faire à la maison pour justifier les heures passées à écrire. Puis, à 10/11 ans, je répondis à l’annonce d’un illustré pour fillettes : racontez un souvenir de vacances ! Ma famille était modeste, j’étais l’aînée de 8, nous ne partions jamais et j’ai imaginé une journée à bord d’un bateau de pêche. Surprise : mon récit fut publié comme véridique ! Ainsi ai-je découvert le pouvoir des mots. Et quel pouvoir ! J’écrivis aussi de courtes pièces pour ma fratrie que je mettais en scène puis, à 13 ans, ma première pièce radiophonique. Elle fut diffusée sur la chaîne Parisienne dans l’émission Interdit aux plus de 16 ans de Pierre Peyrou qui cherchait des synopsis. Deux autres ont suivi à la demande du réalisateur. Des tragédies miniatures.

Je ne saurais dire si on apprend mal la littérature à nos enfants aujourd’hui car les miens sont adultes. Premiers livres avec les premiers biberons. Idem pour mes petits-enfants.

Quelques uns de vos titres commencent pas « moi » ou « je ». Finalement, l’auteur ne parle-t-il que de lui dans ses écrits ?

Le manuscrit de mon second livre, Quelque part une île sorti en 1980, au Cerf, était à la 3ème personne du singulier mais les éditions me conseillèrent vivement d’employer le « je » car il s’agissait d’un témoignage de fait de société. Vint ensuite Je, femme d’immigré en 1987 au Cerf, sur le racisme au quotidien non romancé tel que nous l’avions vécu et le vivions avec mon mari et les enfants. Le « Je » s’imposait, cri d’amour et de colère, prise de conscience liée à la recherche du « Je », et de son affirmation en tant que femme. Mais ce « Je », c’est Nous… me disent les enfants.
Je m’appelle Atlantique, rédigé en 1983, soit entre les deux précédents, et publié en… 2006 à La Part Commune, relève de cette recherche du « Je », loin d’être terminée d’ailleurs. Ce livre évoque la place des femmes – fille, épouse, mère, grand-mère – dans la province catholique du début du XXème siècle à l’après-guerre. Avec les tabous et non-dits familiaux.

Quant à Moi, Julienne David, corsaire nantaise jamais soumise sorti en 2012 chez Ex æquo, le Moi est un ajout des éditions.

L’auteur se nourrit plus ou moins de son vécu dans ses écrits. Fiction et fragments de vie- même infimes – se juxtaposent aux faits, lieux et personnages imaginaires, lesquels sont souvent constitués de plusieurs apports. Tout s’imbrique. Mosaïque et kaléidoscope.

Vous avez écrit des contes, des poèmes, des nouvelles, des pièces radiophoniques, des pièces théâtrales et j’en passe. Où vous sentez-vous le plus à l’aise ?

La pluri-indisciplinaire que je suis n’aime ni les frontières, ni les cases. J’explore toutes les formes d’écriture en alternance avec curiosité et une certaine aisance. J’ai besoin de défis à relever, besoin de me dépasser, de me laisser happer et d’être dans une forme d’abandon. Ces parcours d’écritures différents forment un tout pour moi. Ce qui peut passer pour de la dispersion est en fait une réunification. Je le vis ainsi. Et je ne l’ai jamais regretté.

De facto rien n’est prémédité quand arrive l’inspiration. J’écris ce que j’ai envie d’écrire sans chercher à être dans l’air du temps. J’amasse des matériaux : faits divers, photos d’anonymes, cartes postales, notes de phrases entendues ou qui me viennent à l’esprit, détails observés etc. Ce sont, comme les lieux, des points de départ. C’est irrationnel et difficile à cerner, encore moins expliquer. Je suis plus dans le ressenti que dans l’émotion. Au début, j’ignore ce que sera le texte : réaliste, tragique, humoristique, fantastique. Je me laisse guider. Une nouvelle peut se transformer en petite forme théâtrale ou vice-versa.

Écrire c’est vivre mille vies, s’enraciner, combattre, exister… Ne pas écrire, c’est hiberner, c’est être amputée et pauvre. Lorsque j’écris, je ne fais que traduire les scènes qui se déroulent devant mes yeux. Comme un film. J’aime emmener le lecteur ou le spectateur là où il ne s’y attend pas.

Cependant, l’aventure de l’écriture est aussi celle d’une extrême solitude. On peut s’y perdre comme s’y retrouver.

Pouvez-vous nous parler de l’association des romanciers nantais dont vous faites partie ?

J’y adhère depuis fin 2012.

Voici ce qu’en dit Didier San Martin, le fondateur et président : « Née en 2012, l’association regroupe une trentaine d’auteurs de Loire-Atlantique (…). À eux seuls, ils ont écrit plus de 120 romans publiés par des maisons d’éditions de haute tenue. L’idée de pareil collectif est de permettre à des auteurs de se retrouver, d’échanger sur leur passion, leur imaginaire, leurs difficultés et leurs joies dans le monde éditorial. De la littérature générale au roman historique, du polar à la science-fiction, on y trouve tous les styles, et plus d’un explore avec gourmandise la région nantaise.
Les Romanciers nantais entendent appuyer le travail de communication des éditeurs de l’Ouest, rendre visible la grande diversité de leurs oeuvres auprès des lecteurs, des bibliothèques, des libraires, des collectivités locales et de la presse nationale « exagérément centrée sur Paris ».
Ensemble, ils font paraître, deux fois par an, un recueil de nouvelles. Le cinquième de la série, Nantes voyage, en référence au Voyage à Nantes, la célèbre manifestation estivale de la métropole à laquelle ils sont désormais associés devant paraître mi-juin. »

Quelle est votre actualité littéraire ?

Après un longue période sans publication, une bourse de la DMDTS1, une résidence d’écriture d’un mois au CNES 2 à la Chartreuse de Villneuve-lez-Avignon (2002 – 2003) et un spectacle jeune public (2005 – 2007), j’ai mis la dramaturgie en veilleuse pour me consacrer à des recherches sur une femme corsaire nantaise peu connue (Moi, Julienne David, corsaire nantaise jamais soumise) et compiler des nouvelles qui seront publiées en 2011, L’Estuaire Ex æquo.

Je me suis remise à l’écriture théâtrale fin 2012 lorsque j’ai adhéré aux EAT (écrivains associés du théâtre) bureau de Loire-Atlantique. Je participe à des créations collectives, petites formes et sketch, une excellente école de concision… Des projets sont en cours.

Dernières publications : Ferme la porte en sortant, un roman intimiste sorti cette année chez Ex æquo, Où je suis étranger (nouvelle) in Nantes Voyage, tome 5 des Romanciers nantais associés au Voyage à Nantes cette année. Poèmes et textes divers en revues numériques et papier. Plusieurs manuscrits inédits.

À paraître en sept/octobre Cabaret du futur sketchs regroupant 21 auteurs des EAT.

Quel est le dernier livre que vous ayez lu ?

Je me délecte à la relecture de Fahrenheit 451 de R. Bradbury tout en appréciant les délicieux Haïkus du peintre d’éventail d’Hubert Haddad. Je suis très éclectique !

Thérèse André-Abdelaziz

Thérèse André-Abdelaziz

Thérèse André-Abdelaziz quitte l’école à 14 ans, après le CEP. Cours d’employé de bureau par correspondance. CAP. Vie active dans ce domaine et pigiste pendant dix ans pour trois hebdos : parisien, genevois et haut-savoyard. Après avoir pas mal bourlingué, elle vit aujourd’hui à Nantes, sa région d’origine. Retraitée du secrétariat elle se consacre à l’écriture.

Pour en savoir plus sur Thérèse André-Abdelaziz : blog.amicalien.com/Thea

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