Interview de Mélanie Chappuis
Quel est le premier livre que vous vous souvenez avoir lu ?
Un Martine… J’avais 8 ans. J’habitais en Afrique à l’époque, à Lagos. Ma mère est entrée dans le salon, « il va neiger ! » s’est-elle exclamée. Je l’ai crue durant un quart de seconde, avant de comprendre qu’elle faisait référence au fait que je lisais enfin seule.
Dans quelles circonstances avez-vous écrit votre premier roman ?
Je dois Frida, mon premier roman, à un chagrin d’amour. Je ne savais plus quoi faire pour que ça passe, jusqu’à ce que je confie cette douleur à mon ordinateur. De paragraphe en paragraphe, j’ai réalisé que je faisais davantage qu’écrire un journal intime, j’avais l’impression que je racontais quelque chose d’universel et que ça pouvait donner un roman.
Quel est votre moteur dans l’écriture ?
Il se situe quelque part entre l’envie et la nécessité.
Pensez-vous qu’il faille être un grand lecteur pour être un bon auteur ?
Oui, je crois qu’il faut commencer par lire beaucoup, ou par lire bien, déjà simplement pour qu’émerge l’envie d’écrire. Ensuite l’écriture arrive d’abord pour soi-même, comme la lecture. On écrit comme on lit, pour panser ses blessures, pour se comprendre, et l’humanité toute entière. La lecture et l’écriture sont du domaine de la fraternité. Je crois que j’ai écrit aussi parce qu’à un moment donné de ma vie je n’ai plus trouvé de livre qui me permettait de m’évader suffisamment, ou qui me consolait, me soulageait, me permettait de me sentir moins seule. Après, il y a la volonté de partager ce que l’on a écrit, à cause de ce sentiment d’universalité, et avec l’espoir d’ouvrir les yeux des lecteurs, de les secouer, de leur offrir rires, larmes et bonheur, comme moi j’ai été secouée ou remuée par mes lectures.
Quel est, pour vous, le plus important dans un roman : le style, l’intrigue ou les personnages ?
Les trois. Et peut être aucun des trois. Je dirais qu’à trop y penser on perd cette énergie créatrice. L’écriture ne se raisonne pas seulement. Il faut que ça vienne du ventre autant que de la tête. C’est plus compliqué que de l’écriture automatique, mais il faut quand même se laisser guider par ses personnages, par l’histoire, sans chercher à tout contrôler dès le début.
La vie d’auteur est une drôle de vie. Avez-vous une anecdote amusante à nous raconter ?
Vous parlez de l’histoire où je suis devant Facebook comme une idiote au lieu de me mettre à écrire ? Je ne suis pas certaine que ce soit très amusant… C’est plus drôle quand le roman est terminé, qu’on peut se remettre à voir ses amis, à boire des verres, à sortir les enfants de la cuisine scolaire, pour se faire de petits tête à tête… Mais on attend les réactions des lecteurs, des journalistes, ce n’est jamais très tranquille… Cela dit, hier j’ai eu un fou rire téléphonique avec un ami qui s’était reconnu dans mon dernier roman, il trouvait son personnage très drôle, mes mots devenaient les siens et je pouvais les recevoir d’une façon nouvelle. C’était bon (et amusant). C’est souvent comme cela que ça se passe. « Un roman a deux auteurs, celui qui l’écrit et celui qui le lit ». Je trouve assez fascinant de voir ce que retiennent mes lecteurs de mes textes ou romans. De savoir comment ils ressentent tel ou tel personnage. J’adore recevoir leurs lettres qui me racontent mon roman.
Un auteur, est-ce quelqu’un qui se met Dans la tête de… ?
Oui, toujours, un auteur devient ses personnages. Il entre dans leur tête, leur peau… Mes chroniques dans le Temps n’inventaient rien, hormis qu’il s’agissait justement de chroniques publiés dans un journal plutôt que de romans.
Comment vous est venue l’idée de la quête du héros de votre dernier roman, L’empreinte amoureuse ?
D’une discussion avec un ami. Il avait écrit une lettre à son premier amour, deux ans après l’avoir quittée. Il voulait savoir ce qu’il lui laissait. Elle lui a répondu, d’abord émue, ensuite blessée qu’il vienne remuer tout ça. C’était le point de départ de L’empreinte amoureuse. Mon héros se découvre malade, possiblement condamné et décide de partir à la recherche de sa part d’immortalité. J’aimais aussi l’idée d’opposer ses souvenirs à ceux des femmes qu’il a aimées. On ne garde jamais exactement la même chose d’une histoire. Bruno est un personnage qui se cherche, et les femmes de ses vies vont peu à peu le révéler à lui-même.
Avez-vous déjà en tête le thème de votre prochain roman ?
Il arrive. Je sors gentiment de la phase de promotion de L’empreinte amoureuse. Et l’idée du suivant commence à germer. Il s’agira d’un roman plus citoyen, mais il faut que je l’écrive avant d’apprendre à en parler… Je termine aussi une pièce de théâtre.
Quel est le dernier livre que vous ayez lu ?
Héloïse, Ouille ! De Jean Teulé. Quel délice, ce style étrange. Et je termine de lire Salope ! de Coline de Senarclens, heureuse de voir que le féminisme en Suisse est porté notamment par cette combattante jeune, belle et exigeante.
Mélanie Chappuis
Mélanie Chappuis est écrivaine, journaliste et mère de deux enfants. Elle est née le 13 janvier 1976 à Bonn. Elle a passé son enfance entre l’Amérique latine et l’Afrique de l’ouest. Elle réside actuellement à Genève.
Son premier roman Frida, parait en 2008 aux Éditions Bernard Campiche. Il est suivi de Des Baisers froids comme la lune, paru chez le même éditeur en 2010. En 2013, elle publie Maculée conception aux éditions Luce Wilquin.
Son écriture intense et empathique lui a valu de recevoir le prix de la relève du canton de Vaud en 2012.
Mélanie Chappuis est l’auteur de la chronique Dans la tête de, publiée jusqu’en décembre 2014 dans le quotidien Le Temps. Le recueil de ces chroniques Dans la tête de… Tome II est sorti en mars 2015 aux éditions de L’âge d’homme, en même temps que L’empreinte amoureuse, quatrième roman de l’écrivaine.
Pour en savoir plus sur Mélanie Chappuis : www.melaniechappuis.com
Photo : Philippe Pache