Interview de Patrick Mosconi
Quel est le premier livre que vous vous souvenez avoir lu ?
Enfant, je ne lisais pas, que dalle, pas même de BD, je dessinais, jusqu’au jour où mon instit, en CM2, nous a lu un poème de Lorca, une berceuse plutôt, La cavale noire, tirée de Noce de sang (ça je l’ai su plus tard). Un électrochoc, jusqu’à en pleurer devant tout le monde, la honte, moi qui à l’époque était un petit con au coup de poing facile. Le voilà, ce putain de détonateur, qui m’a ouvert la porte de la lecture.
La cavale noire
N’a pas voulu boire
Et l’eau coulait noire
Entre les rameaux.
Au pont se repose,
S’y met à chanter ;
Qui saurait les choses
Qu’elle peut conter,
Quand l’eau se promène
Traînant longue traîne ?
Dormez, mon œillet,
La cavale noire
N’a pas voulu boire.
Dormez, mon rosier,
La cavale noire
S’est mise à pleurer.
Les pattes blessées,
Crinière glacée
Dans ses yeux plongeant
Un poignard d’argent
Roulent vers la rive :
Comme ils ont roulé !
Le sang a coulé
Plus fort que l’eau vive.
Dormez, mon œillet
La cavale noire
N’a pas voulu boire
Endors toi rosier,
La cavale noire
S’est mise à pleurer
Sa bouche brûlante
Aux mouches d’argent
Renâcle en soufflant
Contre l’eau courante…
Hennit, front dressé,
Aux montagnes dures,
Le fleuve a passé
Sur son encolure
Ah ! Cavale noire
Qui ne veut pas boire,
Neige de chagrin,
Cheval du matin (…)
Dans quelles circonstances avez-vous écrit votre première histoire ?
Par dérision et provocation face à la prétention de certains de mes auteurs qui s’imaginaient écrivains et ne se sentaient plus d’avoir quelques papiers dans la presse et d’être invités aux fêtes de patronage d’un petit milieu qu’ils feignaient de mépriser. J’ai écris Sanguine comédie à l’arrache, en une semaine, pour mon plus grand plaisir et l’ai envoyé sous pseudo à une collection concurrente, Engrenage.
Pensez-vous qu’il faille être un grand lecteur pour être un bon auteur ?
Poser la question c’est déjà y répondre : oui !
Vous avez été éditeur puis auteur. Était-ce la suite logique ?
Non. Un éditeur doit surtout savoir lire et sentir et ne pas être un écrivain frustré. J’ai toujours pensé que l’éditeur est dans la chaîne du livre — qui va de l’auteur au lecteur sans oublier les intermédiaires — celui qui est le plus créatif. Le problème est qu’il y a de moins en moins d’éditeurs dignes de cette fonction. Quant à moi, j’ai toujours écris, de la poésie essentiellement, des kilomètres de mots que j’ai détruits, comme j’ai détruit des ares de peinture…
Pourquoi était-il important pour vous de contribuer à la diffusion de l’œuvre de Guy Debord ?
Parce qu’Alice Debord n’avait que moi sous la main… Et que j’ai beaucoup aimé cet homme.
Vous avez été le premier à publier les grands noms du néo-polar. Sentez-vous naître aujourd’hui une nouvelle mouvance dans le polar ?
Notre génération, via la série noire, a été nourrie par le roman noir américain mais, paradoxalement, peu influencée par lui. En revanche, depuis une ou deux décennies, j’ai comme l’impression que l’empreinte gringo, voir le formatage, tend à s’imposer en Europe avec ici ou là quelques Apaches comme Marin Ledun ou Lilian Bathelot et d’autres qui bousculent le Landernau.
Qui est Daridjana ?
Pseudo utilisé par Vladimir (Bodiansky) pour Roulette russe, un excellent roman d’anticipation. Pour crédibiliser l’auteure inconnue, Daridjana, je me suis fendu d’une préface dans laquelle cette femme manipulatrice et sensuelle utilisait ses charmes pour que je la publie. Voilà pourquoi beaucoup pense que je suis l’auteur du livre en question, mais non !
Le pinceau peut-il remplacer la plume ?
Compromis situationniste : Le pinceau ET la plume !
Pouvez-vous nous pitcher votre dernier roman, sorti en février dernier, On ne joue pas avec le diable ?
Au premier degré une histoire de manipulations et d’humiliations que j’espère addictive (le fond et la forme). Elle démarre comme un blues et se poursuit en rock and roll de plus en plus nerveux.
Peut-être une histoire d’amour ?
Au deuxième degré, une métaphore de la société libérale et son pouvoir de séduction malgré la merde et sang qui l’étouffent.
Au final, n’est ce pas tout simplement une histoire sur la « grâce » ?
Quel est le dernier livre que vous ayez lu ?
Dieux de la pluie, de James Lee Burke. Ce mec me fait du bien. La nuit quand je m’installe dans un de ses livres — même les moins bons, celui-là est très fort —, je sais que j’aurai droit à un moment de répit…
La question surprise de Armèle Malavallon
Cher Patrick, un roman noir ou un polar doit-il aussi parler d’amour pour être totalement réussi ?
Oui, Armèle, il n’est question que de ça et tu le sais bien. Amour (ou haine) d’une femme, d’un homme, d’un enfant, d’un animal… Ou amour de la justice, de la liberté ou de la dépendance, de la vie, du silence… De ce que tu veux… Sinon à quoi bon.
Patrick Mosconi
En 1979, avec Alain Fleig, Patrick Mosconi crée les éditions Phot’œil, et notamment la collection Sanguine, qui révèle les précurseurs du nouveau roman noir français (néopolar). Patrick Mosconi continue la collection Sanguine chez Albin Michel, avant d’être conseiller littéraire pour diverses maisons d’éditions. Parmi les auteurs qu’il découvre, on compte Thierry Jonquet, Marc Villard, Jean-Bernard Pouy, Patrick Raynal, Jean-Pierre Bastid, Michel Quint, Tonino Benacquista, Gérard Delteil…
À partir de 1986, il passe à l’écriture, avec Sanguine Comédie, paru dans la collection Engrenage. Il publie alternativement romans noirs et romans de littérature dite blanche, des livres sur les Indiens d’Amérique et des ouvrages illustrés pour la jeunesse.
Pendant plus de dix ans, avec Alice Debord, Patrick Mosconi contribue à la diffusion de l’œuvre de Guy Debord, avec le soutien de Jacques Le Glou, d’Olivier Assayas et de Jean-Louis Rançon.
Merci infiniment pour l’extrait de noces de sang