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Interview de Richard Tabbi

13 Fév 2016

ULAN BATOR COUVVQuel est le premier livre que vous vous souvenez avoir lu ?

La guerre du feu de Rosny-Aîné, je devais avoir 9 ans ou quelque chose comme ça… Je connaissais donc le bouquin bien avant l’adaptation cinématographique de JJ Annaud. Mais avant ça j’avais dévoré l’encyclopédie Tout l’univers ce qui, outre m’avoir donné des bases en histoire, en géographie, et en science, m’avait familiarisé avec des récits essentiels tels que l’Iliade, l’Odyssée ou la chanson des Nibelungen, toutes choses fascinantes pour le gamin introverti que j’étais.

Pensez-vous qu’il faille être un grand lecteur pour être un bon auteur ?

Oui, absolument. Se mettre à écrire sans avoir au préalable une solide culture littéraire paraît hasardeux. C’est ce qui permet de mesurer le travail à accomplir, d’aller au-delà des clichés. D’ailleurs, c’est sans doute en imitant ses maîtres que l’on se forge un style… une fois que l’on a su dépasser cette première phase, sans grand intérêt sur le plan littéraire, mais essentielle pour construire une écriture romanesque, les fondations, en quelque sorte.

Comment êtes-vous venu à l’écriture ?

« Écrire c’est ce qu’il reste lorsqu’on a le sentiment d’avoir tout essayé. » C’est Philippe Djian qui l’écrit, et j’ai d’ailleurs repris cette phrase en exergue de mon premier roman, Zombie planète. Donc, au commencement était la musique, j’ai commencé la batterie vers l’âge de 14 ans, et c’était vraiment ce que je voulais faire. Parallèlement, j’écrivais des textes courts, des trucs qui ressemblaient à des chansons pour les groupes dans lesquels je faisais du bruit… C’était naze mais j’aimais l’exercice. J’ai toujours écrit, mais à l’époque sans penser une seconde à écrire des roman. Écrivain, pour moi, ça semblait relever d’une autre caste, bien loin du milieu dans lequel j’ai grandi. Et puis j’ai fait un master en histoire religieuse médiévale pour lequel j’ai pondu 250 pages, et je dois dire que la phase d’écriture a été un pied terrible… De plus, j’ai eu les compliments du jury à propos du style, et un petit truc a germé dans ma tête à ce moment-là (c’était avant que je m’ouvre la tête avec une scie circulaire…). Enfin, il faut croire que les choses vous rattrapent, parce qu’un jour, j’ai écrit quelques lignes qui ressemblaient au début d’un roman. C’était une période très dure, très dépressive. Bref, un ami, féru de littérature américaine, a lu ce paragraphe et m’a encouragé à continuer. C’est un peu pour lui que je suis allé au bout, un peu aussi parce que l’écriture était devenue un véritable exutoire. Entre minuit et 4-5 heures du matin je mettais mon casque, de la musique au volume maximum, et c’était parti. C’est comme ça que j’ai écrit Zombie planète

On dit que le premier livre d’un auteur est très personnel. Qu’y a-t-il de vous dans Zombie planète ?

L’état mental du personnage principal. Un mec largué, qui n’a pas de nom, qui n’a pas l’usage du monde, qui ne comprend rien à la vie telle qu’elle est codifiée dans nos sociétés, et qui, en définitive, est au bord du suicide. Zombie planète est avant tout un livre sur le suicide, une tragédie en cinq actes, a social suicide road movie

Le livre suivant, vous l’écrivez à quatre main avec Ludovic Lavaissière. Comment s’est passée la rencontre ?

Hé bien j’ai quitté ma cambrousse (les Alpes de Haute Provence) pour Le Havre en 1999. C’est là que plus tard Ludovic m’a contacté par le biais d’une bouquiniste chez qui je travaillais pour survivre. La rencontre était étrange car j’avais inversé mes lentilles de contact et j’évoluais dans un univers parallèle, une sorte d’acid trip visuel. Ajoutez à cela des fringues dépareillées achetées d’occasion au marché et mon comportement autistique de l’époque. Demandez à Ludovic ce qu’il a vu ce jour-là… Le fait est qu’il m’a proposé un rôle de figurant zombie pour son court-métrage, la synchronicité était déjà à l’œuvre…

Avant de sortir Ulan Bator, votre dernier roman solo, vous avez fait une incartade dans Les Aventures du Concierge Masqué. Comment avez-vous vécu l’expérience ?

Cela a été une étape importante en terme d’écriture pour Ludovic et moi. Car on a exhumé notre personnage de Javier Valdès et on est allé encore plus loin dans le délire, ce qui nous a mis sur une piste pour la suite. Mais chut, ça reste entre lui et moi. Donc une expérience très positive, j’ai adoré travailler avec les Exquis, ouverts à toutes nos conneries, ce qui n’est pas rien. J’en profite pour saluer nos coauteurs, et particulièrement Sigolène Vinson, qui a vécu le drame qu’on connaît.

Comment pitcheriez-vous Ulan Bator ?

Ou comment un romancier alcoolique qui croit écrire des polars classiques à la Chandler (alors qu’en réalité il écrit de la SF) se retrouve avec un gamin de 18 mois sur les bras parce que sa femme, artiste plasticienne branchée, est partie en tournée mondiale à l’instar d’une star du rock. Les emmerdements commencent le jour où ce qu’il a écrit dans un de ses romans se réalise : à savoir la décapitation du chanteur des Kyoto Motel. Là des faux-flics mongols débarquent chez lui et l’espace-temps commence à se dérégler comme un téléviseur soviétique des années soixante.

La vie d’auteur est une drôle de vie. Avez-vous une anecdote amusante à nous raconter ?

La vie d’auteur est une vie épuisante car il faut dealer avec le travail alimentaire dévoreur d’énergie, et dans mon cas j’ai ajouté les percussions (je tiens la batterie des Charlatan Moon Vendors) et des prestations scénique avec le groupe Blues Project (j’y lis des textes accompagné par un fabuleux quartet de blues). C’est une drôle de vie, mais rien d’amusant, plutôt de la discipline et des tentatives d’organisation. Dans le genre bidonnant, Moi & ce diable de blues que j’ai coécrit avec Ludovic Lavaissière a réussi ce tour de force de passer pour un bouquin d’extrême-droite auprès de quelques survivances staliniennes havraises, et a été perçu comme un brûlot marxiste auprès d’un site néo-naze qui nous a fait le vomitif honneur de nous citer. Voilà qui est extrêmement amusant, n’est-ce pas ?

Et c’est quoi la suite ?

La suite c’est un roman solo déjà écrit dans ma tête, un quatre main avec Ludovic Lavaissière, des concerts avec les Charlatans, des projets avec le Blues Project et Patrick Jouanneau…

Quel est le dernier livre que vous ayez lu ?

Le boogie des rêves perdus de James Lee Burke, c’est son premier roman, écrit avant la série des Dave Robichaux, et sans doute son meilleur. De la Louisiane au Montana, il y a comme un résumé de son œuvre, la nature est déjà omniprésente, toute comme la folie, l’alcool, le Mal, et la Musique… Un livre offert par Ludovic Lavaissière.

Richard Tabbi

Richard Tabbi

Après avoir tutoyé l’éternité en rédigeant 250 pages consacrées à la sainteté chez François d’Assise et obtenu une maîtrise d’histoire religieuse médiévale, Richard Tabbi a été successivement militaire, enseignant, documentaliste, assistant d’édition et rédacteur, journaliste, commercial, maçon, ouvrier agricole, bibliothécaire, peintre en bâtiment, secrétaire médical…

En 1999 il s’ouvre la tête avec une scie circulaire lors d’une brève incursion dans l’univers hostile du bâtiment et décide de devenir écrivain. Son premier roman, Zombie-planète, a été publié en 2003 aux éditions Mango avec le soutien de Régine Deforges. Consacré à l’aliénation à travers le regard d’un écrivain dépressif qui sombre peu à peu dans la folie, Zombie-planète flirte avec le polar dans une ambiance résolument noire…

Entretemps Richard Tabbi a participé à l’aventure Sexe More Sexe avec Eliette Abécassis et bien d’autres et contribué sous la forme d’essais et de nouvelles au Bulletin des Amis de Michel Houellebecq, à la revue Bordel, et au fanzine électro-dark Twice.

Sa passion pour la musique et l’écriture poétique s’est exprimée notamment avec le groupe Parisatori, qu’il a co-fondé avec Patrick Jouanneau, dont il a signé les textes du disque La fiancée d’Uranus. Un recueil de textes courts signé Jouanneau-Tabbi (Bleu) est par ailleurs en attente de parution. Sa nouvelle, Machines Sentimentales, est à l’origine du disque du musicien électro/dark Tao Ke Tao (dialogue entre des machines et une guitare électrique).

Sa rencontre au Havre avec Ludovic Lavaissière fut décisive, et après l’écriture commune d’un scénario et d’un set de morceaux pour la scène industrielle, les compères signent aux éditions du Riez un polar paru en 2012 : Moi & ce diable de blues. En 2014 les compères récidivent avec une nouvelle insérée dans le recueil Les aventures du concierge masqué.

En 2014 un spectacle, Blues & Polar, est tiré de Moi & ce diable de blues. Richard Tabbi y lit sur scènes des extraits du roman, accompagné par les musiciens du Blues Project (Patrick Jouanneau, Christian Loubès, Florent Maynard, Helmut Nunnïng).

En juin 2015 paraît Ulan Bator, toujours aux éditions du Riez, road-polar rock alcoolisé sur fond de chamanisme, de soviétisme, et d’invasion extraterrestre.

Pour en savoir plus sur Richard Tabbi : richardtabbi.blogspot.fr

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