Interview de Benoît Séverac
Quel est le premier livre que vous vous souvenez avoir lu ?
Aucun souvenir du tout premier chronologiquement, mais mon premier choc fut L’appel de la forêt de Jack London. Je me souviens que j’étais jaloux de ne pas être celui qui avait écrit cette histoire.
Dans quelles circonstances avez-vous écrit votre première nouvelle, votre premier roman ?
Mes toutes premières fictions étaient sous la forme de chansons pour mon groupe punk, dans les années 80. Mais ma première tentative de roman, c’était plus tard, à la fac. Je devais avoir autour de 23 ans. J’étudiais la littérature américaine (Paul Auster, Philip Roth etc.) au Mirail à Toulouse. J’avais un prof super, Yves Le Pellec… Ce sont ses cours qui m’ont fait découvrir la jouissance intellectuelle que pouvait représenter la lecture (et donc peut-être aussi l’écriture) d’un roman.
Pensez-vous qu’il faille être un grand lecteur pour être un bon auteur ?
Grand, je ne sais pas. Bon, oui. Je n’en fais pas une règle, mais la lecture m’apporte trop techniquement pour que je puisse m’en passer. D’ailleurs, je lis très lentement, tout le temps en train de décortiquer la scène, la façon dont l’auteur a attaqué tel dialogue, comment il s’en est sorti avec sa scène de nuit ou d’action, comment il procède à telle ellipse… On apprend beaucoup sur sa propre écriture en lisant les autres.
Vos histoires sont très souvent dans l’Histoire. Pourquoi ce choix ?
J’aime écrire par la bande : aborder un sujet indirectement, pas de façon frontale ou pédagogique, voire pire, moraliste. Le choix d’une période éloignée de la nôtre me permet, par reflet, de parler de ce que nous sommes aujourd’hui. Je dois dire que je ne l’ai pas fait sciemment au départ. Je ne l’ai compris que plus tard, quand on m’a posé la question du « pourquoi » comme vous le faites.
Vous avez écrit le premier polar préhistorique. Quelles ont été les difficultés que vous avez rencontrées ?
Je ne suis pas du tout convaincu qu’il soit le premier. La Guerre du Feu, de Rosny en 1909, était déjà (presque) un roman noir. Jean Auel avec Les Enfants de la Terre, a fait toute une série de polars. L’originalité de L’Homme-qui-dessine est dans le traitement que je réserve à Neandertal. Je le réhabilite et je rétablie quelques vérités scientifiques. Mais je n’ai aucun mérite, c’est une simple question de timing. Je suis arrivé pile au moment où on avait fait la preuve que Sapiens et Neandertal s’étaient croisés et avaient eu des descendants inter-féconds. Nous n’étions donc plus deux espèces différentes. L’autre, le barbare, devenait un frère. Gros coup de pied dans la fourmilière des théories racistes ! Pire, on sait aujourd’hui que les Sapiens les plus purs se trouvent en Afrique, car ils n’ont pas cohabité avec Neandertal. Adolf Hitler doit se retourner dans son bunker. La deuxième originalité du roman, c’est la dimension humaniste et existentialiste que je lui ai donnée.
Tous vos romans ont remporté des prix. Avez-vous la pression à chaque sortie ?
Pression, non, car je reste centré sur le coeur de mon métier, l’écriture. Je ne dis pas que je suis au-dessus de toute considération commerciale (diffusion, ventes etc.), mais ma marge de manoeuvre, une fois que le roman est sorti, est moindre. Mon véritable pouvoir, le levier que je peux exercer, c’est l’écriture. C’est là qu’est la pression pour moi : être original, être authentique, être toujours meilleur. Le reste, en aval, j’essaie de ne pas trop y penser car ça a tendance à polluer ma tête.
La vie d’auteur est une drôle de vie. Avez-vous une anecdote amusante à nous raconter ?
Sur un salon, un lecteur a demandé à un ami auteur de lui faire une dédicace en première page d’un roman de Patricia Highsmith. « Mais, je ne suis pas Patricia Highsmith », a répondu mon ami. « Pas grave, c’est pour ma femme », a répliqué le lecteur. J’en ai plein d’autres. On m’a demandé un jour (toujours en festival littéraire) si j’avais vu Alexandre Dumas, s’il était sur le salon ce jour-là… Y’a encore du boulot !
Vous écrivez également des nouvelles. Quand une idée vous vient, savez-vous si vous la traiterez en roman ou en nouvelle ?
Une idée de récit fulgurant est à la source d’une nouvelle. Alors qu’un personnage et un lieu sont à la source d’un roman, avec toute la complexité contextuelle que cela implique. C’est long à bâtir, un roman, alors qu’une idée de nouvelle vous saute presque à la figure… Je ne dis pas que les auteurs travaillent tous de cette façon. Moi, dès le départ, je sais dans quoi je me lance.
Quelle est votre actualité littéraire ?
Arrête tes six magrets, collection Le Poulpe, éditions Baleine. Sorti début octobre. J’ai emmené Gabriel Lecouvreur sur mes terres, dans le sud-ouest, dans le milieu des éleveurs de canards gras. J’en ai profité pour inventer un personnage cocasse que je vous laisse découvrir. J’ai jubilé, littéralement, au moment où cette idée m’est venue à l’esprit.
Sinon, je vais avoir trois actualités chez trois éditeurs différents en mars 2016, en littérature adulte et jeunesse.
Quel est le dernier livre que vous ayez lu ?
Le dernier titre qui m’a marqué est de Stephen Dobyns, The church of dead girls, (Sépulture en français). Les petites filles attachées, c’est pas DU TOUT mon truc d’habitude, mais là j’ai été bluffé. Il y a un rythme et une profondeur psychologique et une dimension « noire » (au sens étude et critique d’une société pas au sens « glauque ») extraordinaire.
Benoît Séverac
Benoît Séverac est auteur de romans et de nouvelles en littérature noire et policière adulte et jeunesse. Ses romans font la part belle à un réalisme psychologique et une observation fine et sensible du genre humain. Chez Benoît Séverac, ni bains de sang ni situations malsaines. L’enquête policière n’est souvent qu’un prétexte à une littérature traversée par des thèmes profonds et touchants.
Son premier roman, Les Chevelues (Ed. tme), remporte entre autres prix le Grand Prix de la ville de Toulouse en 2008 et s’est vu traduit en anglais aux USA. Il sera suivi de Rendez-vous au 10 avril, primé lui aussi et programmé au Marathon des mots 2010.
Ses ouvrages publiés aux éditions Syros, à l’intention des plus jeunes, récoltent de nombreuses distinctions (plus de dix prix à ce jour). C’est le cas de Silence (2011), Le garçon de l’intérieur (2013) et L’Homme-qui-dessine (2014) qui remporte un franc succès en librairie et auprès de la critique (Télérama, Le Monde des Livres, le magazine Lire, Le Figaro Littéraire etc.)
En 2015, outre la lecture d’une de ses nouvelles inédites dans le cadre du Marathon des Mots de Toulouse, il a participé à l’anthologie de nouvelles Hammett Détective (Syros) aux côtés de huit auteurs de la collection Rat Noir (littérature jeunesse).
Il vient de produire un Poulpe (éd. Baleine) dont l’action se déroule dans le Sud-Ouest dans le milieu des producteurs de canards gras intitulé Arrête tes six magrets.
Benoît Séverac a également présenté trois documentaires sur France 3 dans la série « Territoires Polars ».
Il aime se confronter à des univers autres que le sien. Ainsi, en 2015, il a écrit une nouvelle illustrée par Françoise Michaud, calligraphe contemporaine, en treize tableaux qui ont fait l’objet d’une exposition dans le cadre du salon Toulouse Polars du Sud. Il collabore également au Tumblr Textographies du photographe Jules Séverac.
Benoît Séverac vit et travaille à Toulouse.