Interview de Maud Saintin
Quel est le premier livre que vous vous souvenez avoir lu ?
Un chef d’œuvre : Émilie va à l’école de Domitille De Pressensé, Collection Rouge et Or, et tous les Émilie de la collection. Les lettres colorées semblaient vivre et respirer les mots qu’elles formaient au fil des pages. Vivant, et magique.
Dans quelles circonstances avez-vous écrit votre première nouvelle ?
J’avais sept ans, et pour épater ma grand-mère j’avais écrit une histoire intitulée L’arbre fruitier et l’escargot. Un genre de fable de La Fontaine, sous la forme d’un long poème en vers, avec une morale à la noix qui m’est sortie de la tête. Quelques années plus tard, j’écrivais ma première nouvelle pour un concours sur le thème du cinéma : une fille rêveuse, timbrée et passionnée de cinéma (sans doute moi) voulant faire de sa vie un film ne supportait plus la morne réalité de son quotidien, et quittait le monde. La joie.
Pourquoi écrivez-vous ?
Je crois écrire pour comprendre ce qui m’arrive et ceux qui m’entourent, donner un sens au monde et à cette vie. Autant dire qu’il y a du boulot et que ce n’est pas gagné. J’écris aussi pour rester accrochée à la terre, sinon je décollerais et je m’envolerais comme un ballon difforme gonflé à l’hélium. J’écris sans doute aussi pour essayer de m’aimer et qu’on m’aime, en vain (sinon ça se saurait).
Pensez-vous qu’il faille être un grand lecteur pour être un bon auteur ?
Peut-être faut-il lire ou avoir lu, mais sûrement pas en même temps que l’on écrit. Techniquement c’est impossible ou alors on en fout partout sur la feuille. Mais pas que. En période d’écriture, je ne lis rien. J’aurais trop peur de douter. L’écriture exige une telle concentration et le risque d’être gêné, influencé, ou découragé par les autres plumes est trop grand.
Vous êtes chanteuse et écrivez les paroles du groupe MonMec. Une chanson peut-elle devenir un roman (et inversement) ?
Cela dépend de chacun. Pour ce qui me concerne, des textes en prose sont à l’origine des chansons. Le fond est primordial et le point de départ d’un travail qui va se focaliser sur la forme (la rythmique des mots, les pieds, les rimes, la mélodie etc…).
Vous animez également une émission de radio culturelle, Du chien sans l’faire exprès qui débute par d’étranges questions poético-philosophiques. La réponse est-elle une fin ?
Les questions que je pose ouvrent l’émission et les réponses introduisent les invités. C’est une façon de présenter des artistes sous un autre angle que leur ouvrage, disque ou spectacle qu’ils viennent présenter. Ils se plient d’ailleurs à l’exercice assez facilement.
À quelle question pourriez-vous répondre Moi non plus ?
A toutes les phrases embarrassantes. Sauf « Je t’aime », c’est déjà pris. D’ailleurs pourquoi être embarrassé par l’amour ? C’est plutôt une chance.
La vie d’auteur est une drôle de vie. Avez-vous une anecdote amusante à nous raconter ?
Alors que j’écrivais Moi non plus, j’ai assisté, avec une amie, à une soirée assez étrange qui s’était déroulée aux Trois Baudets, salle mythique parisienne, sur le thème des Viscères. Il y avait des performances barges, des filles à moitié nues avec des têtes de lapin déambulaient, des expos hallucinantes recouvraient les murs, un concert détonnant et hurlant de Treponem Pal se déroulait dans la salle avec des lectures par différents auteurs invités sur le thème du sang, des tripes, de la mort… Un moment assez marquant pour que j’y consacre un chapitre. Quelques mois après la sortie de mon roman, je lis un auteur que j’apprécie beaucoup, Jérôme Attal, présent également à cette soirée parisienne, et découvre un chapitre décrivant la même soirée, avec le même regard amusé et curieux. J’en fus gênée sur le coup, et s’il m’accusait un jour de plagiat ? Par chance, François Busnel ne m’a jamais posé la question.
À n’importe quel moment, un auteur peut intervenir dans l’interview d’un de ses confrères.
Le petit mot de Jérôme Attal
Du coup, il faut absolument que je lise le roman de Maud pour voir comment elle s’accapare ce moment partagé pour en faire de la littérature, et même si j’étais persuadé que Maud était l’une de ces jolies filles qui se promenaient à moitié nue avec un masque étrange. Hum. Le mystère reste entier, même à moitié nu ! »
Avez-vous en tête le sujet de votre prochain roman ?
Des idées me traversent l’esprit, tous les jours, mais pas de sujet assez imposant pour que je lâche tout pour lui. Je sais qu’il va finir par débouler quand je m’y attendrai le moins, le bougre.
Quel est le dernier livre que vous ayez lu ?
Un chef d’œuvre : Vernon Subutex, Vol.1, de Virginie Despentes (Grasset). Cette femme est un génie. Même si on souffre avec elle du manque de tendresse qui la caractérise, Despentes est un grand écrivain contemporain, qui radiographie notre génération avec une précision chirurgicale. Sa plume sèche et précise n’épargne personne, encore moins le lecteur qui enchaîne crochet au foie et claque dans la gueule. Le tout avec un tel style qu’on jurerait qu’elle n’en a pas. La grande classe.
Maud Saintin
Maud Saintin écrit des nouvelles (publication dans la revue littéraire Squeeze, participation à L’Exquise Nouvelle Saison 3 – Les Aventures du Concierge Masqué, 50 Micro nouvelles, À nos amours, bordel !), des blogs et articles pour webzines. Son premier roman est Je ne suis que son nègre, sorti en 2012, éditions Numeriklivres. Suit Moi non plus en 2014 (Un kilo d’étincelles éd. + Numeriklivres)
Maud est animatrice et présentatrice de l’émission culturelle hebdomadaire Du chien sans l’faire exprès sur Radio Clapas.
Maud est également auteure et interprète des chansons du groupe MonMec (album sorti en Janvier 2013). Elle a collaboré à l’album de l’Ordinaire Grand Orchestra (Albertville) et Soulem à Londres.