Interview de Sébastien Raizer
Quel est le premier livre que vous ayez lu ?
Aucun souvenir. J’ai appris à lire très vite, et les livres exerçaient sur moi une véritable fascination. Inlassablement, j’essayais de plonger dans les bouquins de mes parents, mais ils n’étaient pas du bon calibre pour un gosse. Zola m’ennuyait et je ne comprenais rien à Dostoïevski et à Tolstoï. Et à 11 ans, je suis tombé sur Hemingway. Révélation totale.
Dans quelles circonstances avez-vous écrit votre premier roman ?
Le premier roman publié, c’était Le Chien de Dédale, chez Verticales, en 1999. Pour reprendre l’image précédente, j’avais trouvé un calibre qui me convenait en tant qu’écrivain. Trois semaines de fièvre et de passion. Pareil pour Corrida détraquée, en 2001. Ensuite, j’ai passé une bonne douzaine d’années à chercher une synthèse personnelle de mes polarisations absolues. Polar, uchronie, mais pas que. Mishima, Dick, Burroughs, mais pas que. Sans cesser d’écrire. Mais sans aboutir – ni désespérer, d’ailleurs. Jusqu’à ce que je rencontre Aurélien Masson, le patron de la Série Noire. On a discuté quelques heures et spontanément, on parlait exactement la même langue. Ce que je cherchais était soudain évident : ça s’appelait la Série Noire. Liberté totale.
Quelles sont vos habitudes d’écriture ?
Dès l’aube, non-stop, tous les jours.
Pensez-vous qu’il faille être un grand lecteur pour être un bon auteur ?
Certes. Encore que « grand lecteur » ne veuille pas forcément dire « bibliovore ». Je lis beaucoup, mais mieux vaut comprendre une œuvre et un auteur en profondeur que collectionner les impressions de surface, qui ne mènent pas à grand-chose. Les trois que j’ai cités précédemment, je les lis depuis plus de 20 ans et je n’en ai pas fini avec eux. Loin de là.
Quelles sont, pour vous, les spécificités du roman noir ?
Peu importe le genre, tout réside dans l’engagement de l’auteur. Ce qu’on appelle la littérature « noire » a d’emblée la liberté de ne pas être consensuelle, mais peu d’auteurs en profitent vraiment. Sous des dehors « noirs », pas mal de livres sont en fait des consolations masquées. Triste gâchis. Il est totalement inutile et même pleutre d’écrire à l’intérieur de sa zone de confort. La littérature n’est pas gentille ni politiquement correcte. Elle est totalement vivante, radicale, violente, poétique, enragée et engagée, ou elle ne sert à rien. Il faut prendre tous les risques, surtout personnels. Quelle que soit la couleur sous laquelle on écrit, il s’agit de fouiller la distorsion, la dissonance, le chaos, traquer la beauté et les émotions brutes, quelque chose qui vous arrache complètement de vous-même et vous ouvre de nouveaux territoires. Sinon, autant regarder la télé. Je pense à William T. Vollmann, par exemple, et à son entreprise magistrale et monstrueuse, à la façon explosive et amoureuse avec laquelle il bouscule le monde.
Vous avez été éditeur avant d’être auteur. Est-ce facile de passer de l’autre côté ?
C’est d’autant plus facile qu’il n’y a pas « d’autre côté ». Lecteur, éditeur, auteur, ce sont juste des positions différentes sur le même champ de bataille.
Quelle est l’importance du rock dans la littérature ?
Quelle est l’importance de la danse contemporaine sur l’architecture ?, pour faire un clin d’œil à la fameuse phrase de Lester Bangs. Le rock ou n’importe quelle musique peuvent être des sources d’inspiration, au même titre que des centaines de lectures ou des milliers d’événements. Personnellement, j’y suis fortement connecté par des questions de rythme, de spontanéité et d’engagement total. Dans L’alignement des équinoxes, c’est la musique qui m’a permis de découvrir en profondeur la psyché de certains des principaux personnages : Search & Destroy pour Wolf, l’ancien commando déphasé, lieutenant de la criminelle. Lorsqu’il se retrouve dans des situations, disons un peu tendues, j’écoute la chanson 10, 15 fois, pour percevoir ses réactions avec les plus grandes finesse et précision possibles. Idem pour la Vipère, qui écoute Kometenmelodie 1&2 et d’autres titres de Kraftwerk. Et Diane construit son univers oblique en écoutant Gold Is the Metal de Coil. Mais tout cela se passe essentiellement hors écriture, il s’agit plutôt d’un processus d’immersion personnel.
Vous êtes également traducteur, notamment du tome 1 des Brillants de Marcus Sakey. Est-il difficile de se fondre dans le style d’un autre auteur ?
Quand il s’agit d’une saga comme celle de Sakey, c’est un pur bonheur ! Cet écrivain est un fucking master storyteller ! La subtile uchronie qu’il développe dans Les Brillants est construite avec une grande précision et beaucoup d’intelligence, c’est donc assez facile de se mettre complètement au service de son monde. En ce moment, je travaille sur un autre auteur, Oein Colfer, dont le héros est un Irlandais émigré dans le New Jersey, et qui fait pas mal de blagues trash avec son pote juif : j’apprends plein de trucs aussi tordus qu’hilarants dans les deux cultures. Quant au style, je dirais que, paradoxalement, pour une fidélité optimale, il faut trouver le mode de trahison invisible le plus efficace. Si l’on sent que l’univers de l’auteur est solide, la traduction n’est plus qu’une question de travail, de sensibilité et d’écoute.
Quelle est votre actualité littéraire ?
La publication de L’alignement des équinoxes à la Série Noire, en mai 2015.
“Karen Tilliez, fille étrange et fascinante qui se prend pour un samouraï, atteint l’équinoxe de la mystérieuse loi de l’alignement en décapitant un homme d’un coup de sabre.
Diane Lempereur, jeune femme aussi séduisante que déboussolée, travaille dans un sex-shop et abandonne tous les repères de sa vie tourmentée en se laissant guider par un psychiatre aux expérimentations singulières.
Silver, boxeuse zen laotienne, et Wolf, ancien commando déphasé, deux flics de la Brigade criminelle, vont être entrainés dans ce lavage de cerveau existentiel en forme de grand huit, au son des Stooges, de Kraftwerk et de Coil, dans un univers mutant et mouvant, où rien ne semble impossible – ni aller de soi.
Et pendant ce temps, la Vipère règle ses comptes, en attendant son propre équinoxe…”
Quel est le dernier livre que vous ayez lu ?
Je viens de relire Ubik, de Philip K. Dick.
Sébastien Raizer
Sébastien Raizer est le cofondateur des éditions du Camion Blanc, qui ont publié des cargaisons d’ouvrages sur le rock, et de la collection Camion Noir, aliénée aux cultures sombres.
Il vit aujourd’hui à Kyôto.
Photo : (c) Hélie / Gallimard