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Interview de Laure Mi Hyun Croset

Interview de Laure Mi Hyun Croset

22 Nov 2015

12204336_10153351076083650_805798456_oQuel est le premier livre que vous vous souvenez avoir lu ?

Je me souviens d’avoir lu toute seule Oui-Oui et la girafe rose, je pense que c’est le titre que j’aimais bien et que j’ai retenu, plutôt que son contenu assez niais, mais j’ai dû lire des livres avec des illustrations et des caractères plus grands avant ma lecture de ce texte.

Pensez-vous qu’il faille être un grand lecteur pour être un bon auteur ?

Oui, absolument. Je suis d’abord une lectrice avant d’être une écrivaine. Il faut connaître le plaisir de la lecture pour pouvoir le transmettre aux autres. Les moments de grâce ou les failles des autres livres nous permettent aussi de progresser, même quand on n’écrit pas.

Avez-vous des habitudes d’écriture ?

Oui, plusieurs. Je n’écris que sobre et reposée, sans quoi je suis mauvaise juge et je ne ressens que l’envie de tout effacer. Je relis tout mon texte selon un critère, puis je fais de même avec un autre critère, ce qui me contraint de relire près d’une cinquantaine de fois mon ouvrage pour le corriger mais qui me permet d’appliquer la même attention à l’ensemble du texte et m’évite d’avoir des paragraphes inégaux, certains très travaillés, alors que d’autres ne le sont pas. Depuis peu, je lis chaque nouvelle version du roman en cours au dictaphone, c’est ennuyeux au possible et très contraignant, mais ça me permet de prendre du recul par rapport au texte. Un changement de police ou la création de colonnes pour que je voie mon texte disposé d’une autre manière et le perçoive de façon nouvelle vont dans le même sens. Ils me permettent de mieux le corriger.

L’urgence matérielle est-elle le meilleur moteur pour écrire ?

Je pense que quand on a vraiment faim, on pense peu à l’art, mais quand elle est modérée, elle peut donner une sorte de force qui oblige à avancer.

Si on n’a pas écrit un livre à 50 ans, a-t-on raté sa vie ?

Non, tout le monde crée quelque chose, mais sur des supports différents. Réussir une relation amoureuse ou permettre à ses enfants de s’épanouir est déjà une forme de création. Pour les auteurs, ce qui importe n’est pas quand ils auront écrit, mais s’ils arrivent à écrire le livre dont ils rêvent avant de mourir.

Comment décide-t-on d’écrire sur les hontes de sa vie, le sujet de votre deuxième livre, Polaroïds ?

C’est mon deuxième ouvrage publié mais je l’avais écrit en premier, quand, n’ayant aucune expérience de l’existence, je n’avais que moi comme sujet. Comme je voulais faire quelque chose de difficile pour que cela me contraigne à élever mon propos, à le rendre littéraire, j’ai choisi ce qui m’était le plus pénible à dire : mes hontes. Mais j’ai essayé de donner une dimension universelle à mon autofiction pour accueillir le lecteur au sein du texte, pour qu’il puisse s’approprier le livre. C’est un texte littéraire, ce n’est pas un journal intime ni une confession.

La vie d’auteur est une drôle de vie. Avez-vous une anecdote amusante à nous raconter ?

Lorsque j’étais à la foire de Brive en 2014 et que je suis arrivée le deuxième jour à ma table d’écrivaine, on m’a dit que j’étais dans le journal local, La Montagne, je crois. Le cœur battant, j’ai ouvert le quotidien et j’ai vu tous les auteurs pris en photo par Amélie Nothomb sagement en train de dédicacer ou de se livrer à quelque noble activité. Il me semble que la seule photographie publiée de David Foenkinos, qui en avait pourtant pris beaucoup, était de moi, le visage bleuté par la lumière de la boîte de nuit de Brive : Le Cardinal. Un grand nombre d’auteurs étaient allés en discothèque et beaucoup avaient été photographiés par David, mais la seule qui apparaissait bleue comme un personnage d’Avatar, c’était moi ! Ça vous fait une réputation.

Pouvez-vous nous parler de On ne dit pas « je » !, votre dernier livre ?

Il s’agit de l’histoire véritable d’un ami qui a été 17 ans toxicomane et qui s’en est sorti. Il a même fondé un label de musique électronique. Ce qui importait vraiment, c’était de trouver le ton adéquat, sans jugement ni misérabilisme. Il paraît que ça a marché.

À quand le prochain ?

Deux petits ouvrages de commande vont sortir en 2016, mais le prochain grand roman devrait relater l’histoire d’Émile Louis. Je trouve fascinant que la justice, parce que ces jeunes femmes disparues étaient des enfants de la DDASS, ne les ait pas recherchées pendant près de 20 ans, comme si certaines vies valaient moins que d’autres.

Quel est le dernier livre que vous ayez lu ?

J’ai lu Villa triste de Modiano, pour ne pas avoir la honte au front si on me parle du prix Nobel de littérature 2014 ! Sourires.

Laure Mi Hyun Croset

Laure Mi Hyun Croset est une écrivaine suisse née en 1973 à Séoul, puis adoptée par une famille genevoise. Elle a étudié la littérature française et l’histoire de l’art à l’université de Genève. Après avoir beaucoup voyagé, elle s’est sédentarisée et a décidé de se consacrer à l’écriture de fiction.

Son recueil de nouvelles, Les Velléitaires, relatant avec ironie des tranches de vie de personnages qui abandonnent rêves et projets au lieu de les réaliser, a paru en avril 2010 aux Editions Luce Wilquin. Polaroïds, une autofiction sous la forme de brefs fragments, narre l’histoire de ses hontes comme autant de petits moments de solitude dans lesquels on se reconnaît aisément. Elle a été publiée en août 2011 chez la même éditrice et a reçu le prix Eve de l’Académie Romande 2012.

On ne dit pas « je » !, son troisième ouvrage publié en mars 2014 chez BSN Press, raconte sans jugement ni complaisance le parcours d’un ancien toxicomane devenu le fondateur d’un label de musique électronique.

Actuellement, elle travaille, entre autres, comme critique culinaire, chroniqueuse pour Hotel revue et correctrice d’orthographe pour la maison d’édition Markus Haller.

Photo : Aurélien Bergot

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