Interview de Henri Girard
Quel est le premier livre que vous vous souvenez avoir lu ?
Je devais avoir 7 ou 8 ans. Ma grand-mère m’offrit un grand ouvrage à couverture cartonnée. C’était un recueil de poèmes agrémentés de dessins. Si l’ensemble m’a séduit, je me suis surtout souvenu de trois d’entre eux. L’un de Raymond Queneau, Fable, commence comme ça : « Un affreux chat z-en casquette, courait après les souris ; un affreux rat z-en liquette, grignotait du riz et du riz… » Celui de Jean Tardieu, La môme néant, se termine ainsi : « Pourquoi qu’a dit rin ? Pourquoi qu’a fait rin ? Pourquoi qu’a pense à rin ? – A’ xiste pas. » Enfin, Une fourmi de dix-huit mètres de Robert Desnos se conclut de cette façon : « Une fourmi parlant français parlant latin et javanais ça n’existe pas, ça n’existe pas… Et pourquoi pas ! »
Ces textes ont en commun d’être rigolos, distrayants et un brin absurdes. Ils ouvrent mille portes à l’imaginaire. J’en ai sûrement profité pour ne jamais cesser de m’y baguenauder.
Pensez-vous qu’il faille être un grand lecteur pour être un bon auteur ?
Oui, oui, oui… et oui ! Bien sûr, au départ il y a l’envie, mais avant d’avoir l’audace de cuisiner les mots, il convient de les bien connaître, d’y avoir mille fois goûté. Vient ensuite le temps de l’apprentissage de l’écriture, celui du travail. En détournant quelque peu la citation de Thomas Edison à propos du génie, je dirais : « Le talent est fait de deux pour cent d’inspiration et de quatre-vingt-dix-huit pour cent de transpiration ».
Dans quelles circonstances avez-vous écrit votre première histoire ?
J’avais une quinzaine d’années. Ce fut une pièce de théâtre qui s’intitulait Le babalouisme. Elle m’avait été inspirée par La petite hutte d’André Roussin que j’avais vue à la télé. Un explorateur revenu d’un séjour de vingt ans dans une île lointaine cherchait à convertir sa famille à sa nouvelle religion. Pour en pratiquer le rituel, il fallait être vêtu d’un pyjama rayé, d’une seule chaussette, sacrifier une puce avec un marteau et chasser les mauvais esprits au moyen d’une pompe à vélo ! Ce chef d’œuvre de vingt minutes ne fut joué qu’une seule et unique fois, lors du repas de Noël des anciens de mon village.
Comment ce sont passés vos premiers contacts avec un éditeur ?
Mon premier roman, L’Île aux épines, n’a jamais trouvé preneur. Cinq ans plus tard, j’ai essuyé plus de trente refus pour mon second manuscrit, Sous l’aile du Concombre, finalement paru en 2003 aux éditions Carnot. Lorsque mon premier éditeur m’a contacté par courriel, j’ai cru à une farce ! Sa phrase d’attaque m’est restée en mémoire : « Eh bien ! Moi qui n’échangerais jamais mon baril de Dumas contre deux barils de Flaubert, je dois avouer que… » J’avais donc rencontré la perle rare. Peut-être a-t-il senti derrière mes mots l’individu que j’étais ? D’ailleurs, nous sommes devenus amis. Cela dit, il m’a retourné mon texte avec une centaine d’annotations, une vingtaine de pages à supprimer et autant à réécrire entièrement ! Un « vrai » éditeur, quoi !
Quels conseils prodigueriez-vous à un jeune auteur ?
Au vu de ce qui précède, de travailler, travailler et travailler encore, de ne pas se décourager. Et puis de prendre son temps. Il n’y a pas de date de péremption pour un manuscrit. De faire des phrases courtes. D’éviter d’utiliser trop d’adverbes. « Lorsqu’il y en a trop, c’est qu’on n’a pas trouvé le bon verbe », disait Jean Genet. De ne pas s’épancher sur ses angoisses personnelles ; tout le monde s’en fout ! De ne raconter qu’une seule histoire. D’éviter de se faire relire par sa chérie ou quelques amis tellement proches qu’ils n’oseront pas vous dire votre fait. « D’écrire avec les cinq sens », comme je l’ai lu sur un site dédié aux conseils envers les écrivains débutants, afin que le lecteur voie, sente, entende, goûte et palpe vos écrits. De ne jamais céder aux sirènes des « baise-couillon.com » ni se faire dépouiller par les charognards du compte d’auteur. Puis, pour faire rempart à tout risque d’emballement mégalomaniaque, de lire ou relire, par exemple : Cyrano de Bergerac, La Recherche, Voyage au bout de la nuit, les romans de René Fallet et quelques San Antonio dont L’Archipel des malotrus, mon préféré.
Vos proches se retrouvent-ils dans vos romans ?
Non. À moins qu’ils ne me le confient pas ! Parfois, pourtant, souvent en partie, je les y ai glissés ! En revanche, ils identifient parfois des proches, les miens ou les leurs, alors que ce n’était absolument pas mon intention de les évoquer ou de les décrire.
La vie d’auteur est une drôle de vie. Avez-vous une anecdote amusante à nous raconter ?
Lorsque j’écrivais, au stylo, mon premier roman, celui qui ne trouva jamais d’éditeur, j’étais encore en activité. Mon manuscrit ne me quittait jamais et trouvait place dans mon attaché-case à côté de mes documents de travail. Dès que j’avais un moment de libre, au bureau, et même en réunion, je le relisais ou griffonnais quelques mots, en douce. Ce qui devait arriver arriva. À une réunion où je devais prendre la parole, j’oubliai mon dossier et sortis mon manuscrit de mon cartable ! Heureusement, j’avais quelques talents d’improvisation !
Sur votre site, vous avez un onglet « Langue française ». Pourquoi ce choix ?
J’aime la langue française de toute mon âme. Et je déteste qu’on la néglige, qu’on la malmène, qu’on la snobe. La maltraitance de la grammaire et de l’orthographe me hérisse le poil. Mais, ce que j’exècre par-dessus tout, c’est cette propension à lui substituer le globish, ce sabir anglo-saxon que nous inflige certains milieux, notamment ceux des affaires, de la finance, de la publicité ou de l’Entertainment, comme ils disent ! Bien sûr qu’une langue doit vivre, bien sûr qu’elle doit s’enrichir de mots et d’expressions venus d’ailleurs ! Mais la langue appartient au peuple ! Et, comme l’écrivit Michel Serres, par conviction et, je le suppose, avec l’intention de provoquer : « La classe dominante n’a jamais parlé la même langue que le peuple. Autrefois ils parlaient latin et nous, on parlait français. Maintenant la classe dominante parle anglais et le français est devenu la langue des pauvres ; et moi je défends la langue des pauvres. Il y a plus de mots anglais sur les murs de Toulouse qu’il y avait de mots allemands pendant l’occupation. Par conséquent qui sont les collabos ? »
Votre dernier roman s’intitule Les Secrets du club des Six. Pouvez-vous nous en parler ?
C’est une histoire de terroir, celui dont je suis issu, qui se déroule dans un petit village au début des années soixante, une période qui m’est chère tant j’y fus heureux du haut de mes dix ans. Elle traite de lourds secrets de famille, de ceux que toutes les grandes personnes connaissent mais dont personne ne dit jamais mot.
Des mômes, concernés par ses secrets, vont s’atteler à leur découverte. Ces gamins sont d’origine et de personnalités très différentes. Au-delà de l’histoire, ce qui m’a intéressé c’est d’essayer de montrer comment, collectivement, ils pouvaient croître et vaille que vaille s’épauler les uns les autres, parfois dans l’innocence, parfois dans la rivalité, la douleur.
J’éprouvais aussi et depuis longtemps l’envie de rendre un hommage à Enyd Blyton et à son Club des Cinq qui contribua également à mon envie d’écrire des histoires à mon tour.
Quel est le dernier livre que vous ayez lu ?
La petite Barbare d’Astrid Manfredi. Un roman au style époustouflant. Tout y est noir sauf une minuscule tache de lumière qui filtre dans la cellule de l’accusée. Cette lumière, c’est la part d’humanité qui lui reste. C’est aussi l’espoir qui n’est jamais complètement éteint. En lisant ce roman, j’ai pensé à La Bâtarde de Violette Leduc, et à L’Astragale d’Albertine Sarrazin, deux autres rebelles amochées par la vie.
Et puis, j’ai lu une interview de l’auteure. Elle y déclare : « Quand j’écris, j’ai peur d’écorcher les mots ». Cette phrase seule mérite respect.
Henri Girard
Ancien DRH et riche d’un parcours professionnel particulièrement dense, Henri Girard s’est désormais voué aux livres. Il défend les siens mais aussi ceux des autres. Aujourd’hui il est tout à la fois conseiller littéraire et membre de plusieurs associations de défense de la langue française.
Il éclaire, à travers son travail littéraire, ce que le quotidien recèle de décalages, de grains de sable. Alors sa plume fouille, sonde pour en extirper sourires ou émotions.
Il possède avant tout l’appétit insatiable d’un gai curieux. L’amour qu’il porte à ses personnages — souvent de petites gens de son terroir bas-normand — est servi par une langue truculente, très travaillée. Il y a du René Fallet dans cette plume, dans cette encre mêlée de cidre et de vieux calvados.
Avec lui, on rit, on s’attendrit et, cerise sur le gâteau, on se prend au jeu d’une intrigue qui, dans chaque roman, qu’il soit cocasse ou plus dramatique, tient le lecteur en haleine jusqu’à la dernière page.
Pour en savoir plus sur Henri Girard : www.auteur-roman-nouvelles.com
Rétroliens/Pings