Interview d’Alain Cadéo
Quel est le premier livre que vous vous souvenez avoir lu ?
Tout d’abord merci pour vos questions et votre « exigence ». Tout bon questionnement est un étau nécessaire obligeant la pensée à serrer au plus près les vraies raisons de nos choix.
Dans le brouillard de ma mémoire le premier livre que j’ai lu doit être L’île mystérieuse de Jules Verne, à moins que ce ne soit L’enfant et la rivière d’Henri Bosco.
Pensez-vous qu’il faille être un grand lecteur pour être un bon auteur ?
Sans être un « grand » lecteur il faut en tous les cas être capable de repérer quel type d’écriture vous fait vibrer.
Lire, écrire, c’est vibratoire. Faire ses gammes c’est tenter d’imiter. Puis, avec les années, c’est la décantation, ce dépôt fait de mille particules qui fera naître son propre « langage ». Alors seulement vous pourrez puiser tête baissée dans ce grenier qui a des airs de cathédrale. Pour chacun d’entre nous il y a de criantes complicités, chacun ses sources. Moi j’ai lu comme on cherche une clef au-milieu d’un flot de phrases qui tâtonnent. Et parfois j’ai trouvé ce qui ouvre le Monde.
Dans quelles circonstances avez-vous écrit votre premier roman ?
J’avais quinze ans. La veille des grandes vacances, un copain m’a proposé d’écrire un livre. Tous les deux nous devions revenir à la rentrée avec un texte fini. On verrait bien lequel serait le meilleur. Je me suis décarcassé tout l’été pour pondre une soixantaine de pages. Comme on dit : « j’ai sué sang et eau » pour dérouler une histoire qui frémissait d’impatience tout au bout de ma plume maladroite. Mais j’y suis arrivé. Je n’étais pas peu fier d’arriver au lycée avec mon paquet de feuilles tapées machine. Dommage, le copain avait complètement oublié notre pari. Il n’a d’ailleurs jamais pris la peine de lire une seule ligne de ce texte qui dort désormais dans une de mes malles. Je lui dois d’avoir osé affronter pour la première fois ce dangereux et merveilleux exercice d’équilibrisme qu’est l’écriture.
Avez-vous été surpris/déçu par vos premiers contacts avec un éditeur ?
Mon premier contact avec un éditeur fut un coup de téléphone un jour de l’un d’entre eux.
– Alain Cadéo ? Je suis dans le métro. Je lis votre manuscrit. Je viens de rater la station où je devais descendre. Je ne sais plus où j’habite. Il faut que je vous rencontre très vite.
Ce ne fut pas toujours aussi simple mais je répugne à être déçu et rien, aucun refus, ne m’a empêché de poursuivre mon travail d’écriture.
La vie d’auteur est une drôle de vie. Avez-vous une anecdote amusante à nous raconter ?
La vie d’auteur est une drôle de vie qui implique d’en avoir plusieurs. Je me suis ainsi retrouvé déménageur sur une longue distance à l’arrière d’un camion bourré de meubles. J’étais délicieusement installé dans un fauteuil Louis-Philippe, cahier sur les genoux, torche électrique frontale, dans des sonneries de pendules et le grincement de caisses plus ou moins bien arrimées. Emmitouflé dans des couvertures j’ai passé une nuit à écrire dans ce bureau roulant dont les pneus chuintaient sous la pluie et j’avais l’impression d’une double écriture, la mienne sur des pages blanches et une autre chantonnant ses dieseliques rengaines sur le noir macadam.
Comment naissent vos personnages ?
Ils surgissent brutalement comme des entités qui sommeillaient dans ma mémoire. Parfois les gestations sont longues. C’est quelqu’un que vous avez croisé dans la rue, dans un train, avec qui vous avez parlé ou pas. Quelqu’un qui a fait son chemin à votre insu et qui re-débarque un jour avec son arsenal de tics et de manières et qui vous dit : « C’est moi ! Qu’est-ce que tu vas en faire ? » Et il faut une infinie tendresse pour redonner vie au moindre épouvantail. De la paille des apparences en faire de la chair, ça c’est un beau métier !
Pouvez-vous nous parler de votre dernier roman Zoé ?
Écrire n’a jamais été pour moi fuir ce qu’ils appellent » la réalité. » Bien au contraire, c’est forcer cette même réalité à cracher tout ce qu’elle recèle. Et si tous les autres sont en moi il m’appartient un temps de leur rendre hommage en les visitant au microscope de l’instinct. Ainsi est née Zoé. Simple et plurielle, comme nous tous. Mais il est vrai que nous nous refusons le droit à la multiplicité et préférons la plupart du temps n’être que notre propre caricature. C’est tellement plus facile à lire !
Comment se met-on dans la peau d’une jeune fille de 18 ans ?
Ce qui m’intéresse c’est d’éprouver les liens qui se nouent entre les êtres. Ici deux catégories d’âges, deux vies différentes, avec pourtant la même soif d’absolu, la même quête, au delà des mots, entre les lignes. Comprendre l’autre est impossible mais percevoir l’onde sur laquelle il tisse sa vie et percevoir où se croisent les fils de nos destins est un travail d’écoute, il y faut une oreille et des sens d’accordeur d’instruments de musique. Au quart de ton près, l’écrivain est un sonar pulsar dont tous les nerfs sont en tension, à la limite toujours de la rupture. Zoé c’est l’histoire croisée de l’intime, du privé, du familial, du génétique avec l’histoire sourde et permanente de l’univers.
Avez-vous déjà en tête le thème de votre prochain roman ?
Une vie c’est un kaléidoscope d’émotions brisées. Mon personnage est un jeune marcheur vagabond bègue, roux, d’un mètre quatre vingt quinze en douce fuite après un accident de voiture qui a tué son amie de coeur.
Je marche à ses côtés depuis deux mois et j’ai mal avec lui.
Quel est le dernier livre que vous ayez lu ?
Ma famille et autres animaux de Gerald Durrell, frère de Lawrence Durrell. Texte tout de délicatesse d’humour et d’émotions liées à l’enfance.
Alain Cadéo
Alain Cadéo, né le 1er janvier 1951 dans le sud ouest, a vécu longtemps entre la France et l’Italie. Il vit actuellement dans le sud de la France.
Il fut expert en livres anciens et objets d’ethnographie, enseignant en Littérature et histoire de l’art, intervenant en soins palliatifs.
Son premier roman, Les Voix de brume a été édité en 1982 chez Jacques Marie Laffont Éditeur.
Il a obtenu le 1er prix Marcel Pagnol pour Stanislas (1983) et a été distingué par la plume d’Or d’Antibes et le prix Gilbert dupé pour Macadam épitaphe (1986).
Son dernier roman, Zoé (2015) sorti au Mercure de France, a été déclaré révélation du printemps 2015 par Emmanuel Kherad de « La librairie Francophone » (France Inter).
Alain Cadéo est également un auteur de théâtre. Il a écrit L’Ombre d’un doute en 2008 et Les Réveillés de l’Ombre en 2013 (toujours en tournée en France).
Franchement,j’adore votre site. Il est captivant, il a quelque chose de vivant.
Merci Thierry pour votre message qui fait très plaisir.