Interview d’Emmanuel Prost
Quel est le premier livre que vous vous souvenez avoir lu ?
Mon tout premier souvenir lecture, c’est Le Petit Soldat de plomb de Hans Christian Andersen. Cette histoire du soldat de plomb unijambiste qui, au milieu des autres jouets de la maisonnée, tombe amoureux de la magnifique poupée ballerine, j’ai dû la lire des centaines de fois, bien avant de savoir lire, et encore longtemps après. Puis une fois l’apprentissage de la lecture passée, j’ai dévoré la série verte des Six compagnons. Quant aux premiers chocs littéraires, ils ont été Les Misérables de Victor Hugo, Les dix petits nègres d’Agatha Christie, et à l’adolescence L’Exorciste de William Peter Blatty.
Dans quelles circonstances avez-vous écrit votre premier roman ?
J’ai un jour lu La Belle Image de Marcel Aymé. Et là, je me suis dit : « Voilà, c’est ce que je veux faire ! » J’ai gardé ça quelque part au fond de moi, pendant longtemps, en me disant qu’un jour j’écrirai moi aussi des histoires. Et il fallut une annonce concernant un concours littéraire pour que je me lance (annonce qu’on découvrait à l’époque dans un journal ou magazine, car je parle d’un temps que les moins de vingt ans, etc.). J’ai donc écrit mon premier manuscrit, sur deux cahiers grand format à spirales, l’ai ensuite retranscrit sur des feuilles volantes à l’aide d’une machine à écrire électronique (ben oui, puisque comme je vous l’ai déjà dit, je parle d’un temps, etc.) Ce n’était vraiment pas terrible, mais c’était la toute première mouture de ce qui donna plus tard mon Kamel Léon.
Pourquoi écrivez-vous ?
J’ai toujours eu au fond de moi la volonté de « faire l’artiste ». Je pense avoir grandi (vous permettez que je m’allonge cinq minutes sur le sofa, là, près de votre bureau, docteur ?) avec un grand vide que je me suis empressé de vouloir combler par diverses activités artistiques. Pour me permettre de briller. Pour recevoir en retour l’amour du plus grand nombre. Et après avoir longtemps fait de la musique, puis un peu de théâtre, j’en suis arrivé à l’écriture. Pendant longtemps, tout cela n’était pas très sérieux. Mais avec La Descente des Anges, les choses ont changé. J’ai eu un tel retour de la part (d’abord des éditeurs puis ensuite) du public que si je pouvais encore jusque-là me demander pourquoi j’écrivais, j’ai d’un coup été rassuré quant à ma légitimité de le faire. Ce que je faisais au départ pour « faire mon intéressant » (comme on se disait dans la cour d’école) est alors devenu une nécessité de tous les jours. Et puis quand j’écris, je suis bien, tout simplement. Ce sont des instants assez magiques…
Pensez-vous qu’il faille être un grand lecteur pour être un bon auteur ?
Pour les autres, je dirais : pas forcément. Certains sont des acteurs sublimes sans n’avoir aucune connaissance cinématographique ou théâtrale, d’autres d’excellents chanteurs sans pour autant être mélomane. Il doit donc bien y avoir de très bons auteurs qui ne sont pas forcément de grands lecteurs. Mais moi, j’en ai besoin. Puis il faut reconnaître que j’aime beaucoup ça. Une journée sans ouvrir le moindre livre me paraît tout bonnement inconcevable. Et si j’aime raconter des histoires, c’est avant tout parce que j’aime au départ en lire de très belles.
L’auteur est-il un métamorphe ?
Hé hé ! Bravo ! Ça, c’est de l’à-propos !
Il me faut d’abord expliquer à ceux qui nous lisent que mon tout premier roman publié était un récit fantastique avec pour titre Kamel Léon, les tribulations d’un métamorphe, et qu’un métamorphe est celui qui a la capacité de devenir physiquement qui il désire, rien qu’en pensant à cette personne (bah oui, moi aussi j’ai eu besoin de faire mes armes, vous savez).
Cela dit, très bonne question, à laquelle je réponds bien évidemment : OUI ! Parce qu’il faut un sacré pouvoir de transformation pour devenir intimement les personnages auxquels on veut donner vie. Pour leur donner corps. De l’épaisseur. Pour que chacun de leurs mots sonne au plus juste. Bon, je rassure immédiatement mes lecteurs, dans ce procédé créatif, je suis le plus grand des métamorphes, mais exclusivement dans mon imagination. Parce que moi qui ai sur mes deux derniers romans dressé le portrait de femmes fortes du début du XXème siècle, n’allez pas non plus croire que j’ai été jusqu’à me retrouver en robe devant mon PC pour arriver à leur donner vie. Pas plus que je ne me suis laissé pousser la moustache pour écrire sur les Poilus, ou que je me noircis le visage chaque fois que je parle de mes mineurs de fond.
Vos plus récents romans sont ancrés dans votre région d’adoption, le Nord. Est-ce par facilité ou par passion ?
Je dirais que c’était au départ par challenge, et que c’est devenu à la longue une véritable passion. Quand je me suis installé à Sallaumines, je me suis tout de suite intéressé à ce qu’on appelle le « fond local » de la bibliothèque, histoire d’en apprendre un peu plus sur l’ex-bassin minier du Pas-de-Calais dans lequel je me trouvais dorénavant. Et le patrimoine historique de ma ville, de ma nouvelle région, c’est bien évidemment la mine, l’exploitation du charbon qui a duré du milieu du XIXème siècle à la fin du XXème. Et autour de toutes ces histoires minières revenait sans cesse La Catastrophe de Courrières du 10 mars 1906. Une terrible tragédie (1100 victimes) dont les récits m’ont fasciné. Je me suis dit que je tenais là un sujet passionnant pour écrire une fiction, une saga où les protagonistes verraient ladite catastrophe chambouler à jamais leur destin. Mais il m’a fallu un temps fou pour bien tout assimiler et surtout pour me sentir suffisamment mûr pour traiter avec efficacité et le sujet et l’époque que je voulais raconter. Cette histoire est devenue une véritable obsession. Mon cheval de bataille pendant près de vingt ans. Quand je suis arrivé au bout du projet, j’étais très content de moi, mais étais intimement persuadé que ce ne serait qu’un one shot, comme disent les anglo-saxons. J’avais rempli ma mission, et j’allais certainement très vite retourner à mes petits récits fantastiques. Mais c’est mon éditrice (aux Éditions De Borée) qui a su me convaincre de poursuivre sur cette voie. Je n’ai pas réfléchi très longtemps. J’ai réalisé que cette écriture avait été particulièrement exaltante, et que je me sentais finalement très bien (très à l’aise et surtout très heureux) dans cet exercice. J’ai donc tout de suite récidivé avec Les Enfants de Gayant en situant ce nouveau récit dans le Douai de 1918. Et aujourd’hui, je ne me vois pas faire autre chose que d’écrire des romans mêlant fiction et l’Histoire du XXème siècle dans le nord de la France.
Votre dernier roman porte le même nom qu’une célèbre brasserie de Douai. Cela ne pose pas de problème juridique ?
Absolument pas ! La brasserie Les Enfants de Gayant, qui a effectivement été créée dans le Nord en 1919 suite à l’association de quatre familles de brasseurs douaisiens, a été rebaptisée il y a une vingtaine d’années pour devenir Les Brasseurs de Gayant. Mais je reconnais qu’en utilisant un tel titre, je fais aussi bien allusion aux géants de la ville de Douai qu’à ses habitants ainsi qu’à toutes leurs fabuleuses brasseries. Et si problèmes juridiques l’emprunt d’un tel nom doit un jour générer, on règlera tout cela comme il se doit, autour d’une bonne bière. Car comme dit Jedjé, un des personnages du roman que je suis en train d’écrire : « Dans la mousse, tous les problèmes s’émoussent ! »
Quels sont pour vous les « géants » de la littérature ?
La littérature regorge de géants. Les miens sont d’univers très divers et ont pour nom : Stefan Zweig, Oscar Wilde, William Shakespeare, Tennessee Williams, Georges Simenon, Roddy Doyle, Bernard Clavel, Stephen King, Agatha Christie, Boris Vian, Carlos Ruis Zafon, Victor Hugo, Emile Zola, Jean Teulé, Annie Degroote, Marcel Aymé, Marcel Pagnol, Sébastien Japrisot, … Il y en a tellement…
Avez-vous déjà en tête le thème de votre prochain roman ?
Oui, plus qu’en tête puisqu’il est en cours d’écriture. On y retrouve un groupe de mineurs du Pas-de-Calais (de la Fosse 5 de Noyelles-sous-Lens) qui, en 1948, sera du voyage des premiers congés organisés par les Houillères au centre de vacances des mineurs de La Napoule, dans les Alpes-Maritimes. L’occasion de plonger des personnages dans un environnement géographique et culturel très éloigné de leur quotidien.
Quel est le dernier livre que vous ayez lu ?
Je viens juste de terminer Le Destin d’Hermann de Bernard Leturcq, un roman qui a remporté l’année dernière le Prix des Bleuets récompensant un récit sur la Grande Guerre dans le nord de la France (prix à l’initiative de l’éditeur Ravet-Anceau). La très belle histoire d’un soldat allemand qui tombe amoureux d’une ouvrière qu’il voit passer chaque matin devant son poste de garde.
Emmanuel Prost
Emmanuel Prost est né le 19 Avril 1968 à Roanne (Loire).
Ligérien jusqu’à l’âge de 20 ans (Charlieu et Pouilly-sous-Charlieu), son parcours le conduit dans le nord de la France et il s’installe à Sallaumines (Pas-de-Calais) où il vit toujours aujourd’hui.
Il est l’auteur de :
Les Enfants de Gayant (Editions De Borée, 2015)
La Descente des Anges (Editions De Borée, 2014)
Kamel Léon, les tribulations d’un métamorphe (Edilivre-Aparis, 2010)
Concerto Sur Le Sornin (Edilivre-Aparis, 2009)
et a participé en 2011 à deux aventures littéraires collectives :
L’Exquise Nouvelle et De l’autre côté du mur
Pour en savoir plus sur Emmanuel Prost : www.emmanuel-prost.com