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Interview de Pierre Mikaïloff

9 Avr 2015

lacouvdefQuel est le premier album que vous vous souvenez avoir écouté en boucle ?

Sans hésitation, une compilation des Stones, Made in the Shade. C’est aussi un souvenir de vacances. Une cassette que ma tante avait achetée dans un aéroport et que j’ai écoutée en boucle et en mono pendant tout un mois d’août. On y trouvait tous les morceaux cruciaux des Stones, « Brown Sugar », « Happy », « It’s Only Rock’n’roll »… Mais aussi les ballades « Angie » et « Wild Horses ». Elle couvrait la période Mick Taylor. Sans doute la meilleure, celle où la formule magique est gravée dans le marbre.

Comment avez-vous commencé à écrire ?

J’ai tenu un journal très longtemps. C’était une manière de faire mes gammes. Du moins, je le croyais, mais je me suis rendu compte que cela ne servait à rien en tant que préparation à l’exercice littéraire. J’y puise toutefois des idées de temps à autre, parce que j’y consignais aussi mes rêves. C’est très utile lorsque j’ai besoin d’un thème de nouvelle dans un délai très court. J’ai réellement commencé à écrire, ou plutôt, à rédiger un texte construit, au début des années 2000. À l’époque, j’exerçais un boulot assez rémunérateur, mais je m’ennuyais à mourir. Deux options s’offraient à moi : vaincre l’ennui par l’alcool ou par l’écriture. J’ai choisi la seconde et j’ai écrit mon premier recueil de nouvelles.

Quelles sont vos habitudes d’écriture ?

Quand j’ai un contrat, avec une deadline, je bosse frénétiquement, sept jours sur sept, car je n’aime pas être en retard (ça entraîne tout un tas de problèmes dans la chaîne du livre). Au début, j’écrivais la nuit, mais depuis quelques années, je me suis rendu compte que je suis le plus efficace en journée. Se tenir à des horaires de bureaux n’est pas si mal. De 10 h, parce que je ne suis pas un lève-tôt, à 19 h, par exemple.

Si vous écrivez essentiellement autour de la musique, est-ce parce que vous avez été guitariste avant d’être auteur ?

Dans mon cas, la musique est à l’origine de tout. La guitare est une étape du parcours, l’écriture en est une autre. Mais si j’écris souvent sur la musique, c’est aussi dû à un concours de circonstances. Il se trouve que mon premier recueil de nouvelles, Some clichés, une enquête sur la disparition du rock’n’roll, a été remarqué par certains médias lors de sa sortie. À partir de là, j’ai été sollicité par des éditeurs. Et je dois dire que c’était très excitant d’écrire tous ces livres. J’en ai publiés jusqu’à trois par an. J’avais dans l’idée de me consacrer davantage à la fiction, mais la non-fiction me permettait de vivre de ma plume, et aussi d’apprendre mon métier. Je n’y ai donc pas, jusqu’ici (mais c’est en train de changer), consacré autant de temps que je l’aurais souhaité.

Vous faut-il un fond musical pour écrire ?

Surtout pas ! Je suis incapable de faire deux choses à la fois. Pour moi, la musique n’est pas un fond sonore. Je ne comprends pas comment certains peuvent écrire en musique. Pour moi la musique est un langage. Écrire en musique reviendrait à écrire en menant une conversation en parallèle ou avec une télévision allumée. Quoique certains se vantent de le faire. Mais pas forcément les bons… L’auteur de Bob Morane, par exemple, prétendait écrire ses romans la télé allumée. On a vu le résultat…

Le rock est-il encore vivant ?

Vaste sujet. Disons que, désormais, il existe aux côtés d’autres formes musicales plus ou moins figées, comme le tango ou le bebop. Ses codes n’évolueront plus. On trouve à la fois de nouveaux groupes qui s’inspirent d’une période et d’un sous-genre précis, la no wave new-yorkaise de 1978, par exemple, mais avec des compos originales, et des tribute bands qui vont jouer à la perfection le répertoire de Led Zeppelin, des Beatles ou de Pink Floyd, comme le ferait un orchestre classique avec une partition de Beethoven. Je pense que le rock mourra avec ses créateurs. Pour l’instant, Jerry Lee Lewis et Chuck Berry sont encore là, mais on ne peut pas dire qu’ils soient très vaillants. Les Stones et les Who donnent encore des concerts. Quelques légendes sont encore en activité, comme Neil Young. Quand ces gens-là disparaîtront, la page sera tournée. Pour paraphraser un vieux slogan publicitaire, c’est le problème de l’original et du Canada Dry. Je pourrais citer des dizaines d’artistes trentenaires qui sont très satisfaisants en concert, mais dès qu’un Dylan, Jagger ou Van Morrison apparaît sur scène, il y a de la magie dans l’air, quelque chose d’impalpable et d’unique. Je crois que ça tient au fait qu’ils ont inventé le truc. Ils ont écrit une page d’histoire. Quand tu vas les voir sur scène, tu éprouves la sensation de faire partie de cette page d’histoire. À l’inverse, lorsque tu vas écouter un groupe ou un artiste contemporain, tu as juste l’impression d’assister à un spectacle. L’histoire a déjà été écrite, et par d’autres.

Votre premier roman a inauguré la série « Mona cabriole ». A-t-il été difficile de passer des essais à l’intrigue ?

Avant ce roman, qui était une commande, j’avais publié un recueil de nouvelles, la fiction n’était donc pas un genre que je découvrais. Ce qui pouvait présenter des difficultés, c’était de travailler à partir d’une bible. Tous les personnages principaux préexistaient, je devais les utiliser tels qu’ils avaient été définis. Et l’intrigue devait se dérouler dans le 1er arrondissement de Paris. Il y avait plein de petites choses comme ça à respecter. Mais de ce fait, tenir un planning était facile. J’avançais sur des rails.

Ces dernières années ont vu naître bon nombre de recueils de nouvelles collectifs autour de groupes de rock. Marketing ou vrais hommages ?

Ce sont de vrais hommages. Ces recueils se vendent tellement peu que personne n’y participe pour de mauvaises raisons. Ils sont l’œuvre d’amoureux de musique. Bien souvent, ils ne sont pas inspirés par les grosses stars de la pop, mais par des artistes cultes, comme les Dogs, Gun Club, Little Bob… Alors le marketing tient peu de place dans cette histoire.

Quelle est votre actualité littéraire ?

J’ai plein de textes sur le feu, plein d’idées, certaines quasiment abouties, d’autres simplement ébauchées : roman, nouvelles, bande-dessinée… Il faut que je mette un peu (beaucoup) d’ordre dans tout ça.

Quel est le dernier album que vous ayez écouté en boucle ?

Je n’écoute plus de disque en boucle. J’ai trop d’envies pour n’en écouter qu’un de façon obsessionnelle. Mais le disque vers lequel je reviens le plus souvent, c’est Kind of Blue, de Miles Davis. Une séance miraculeuse, à laquelle participe John Coltrane, au cours de laquelle un genre musical voit le jour. C’est aussi fort que de découvrir l’Amérique ou de poser le pied sur la Lune. Ça me fait décoller au quart de tour. Merci Miles !

Pierre Mikaïloff

Pierre Mikaïloff

Écrivain, journaliste (RFI, France Culture, Rock & Folk, Gonzaï, Rolling Stone…), auteur de documentaires, conférencier. A pratiqué la guitare dans une autre vie, avec Les Désaxés, puis Jacno.

Depuis la sortie de son premier recueil de nouvelles, en 2006, a publié une vingtaine d’ouvrages (une quarantaine en comptant les collectifs), dont deux romans, une plaquette de poésie, des essais, Le Dictionnaire des années 80 (Larousse), et plusieurs biographies de référence : Alain Bashung, Téléphone, Daniel Darc, Noir Désir, Jane Birkin, Françoise Hardy…

A écrit une cinquantaine de documentaire pour les collections « Nous nous sommes tant aimés » (France 3) et « Une vie, une œuvre » (France Culture).

Pour la scène, il a coécrit [Re]Play Blessures avec Arnaud Viviant, et Dernières nouvelles de Frau Major avec Hédi Tillette de Clermont-Tonnerre, deux fictions musicales consacrées à Alain Bashung, jouées notamment au Théâtre Marigny, au Cent Quatre, en région, et novembre 2015 à la Philharmonie 2.

Photo : (c) JC Polien

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