Interview d’Amandine Marshall
Choisissez un travail que vous aimez et vous n’aurez pas à travailler un seul jour de votre vie.
Quel est le premier livre que vous vous souvenez avoir lu ?
Je n’en sais rien, par contre, l’un des premiers livres que l’on m’ait lu et qui a eu une répercussion incroyable sur ma vie et ma vocation est l’Odyssée d’Homère. C’est mon institutrice, en dernière année de maternelle, qui avait eu cette idée géniale de nous raconter tous les soirs un épisode de l’épopée d’Ulysse. Son mari avait construit un grand bateau en bois dans la classe et nous faisions cours dedans. Ça a été une année mémorable et fabuleuse. J’étais tellement à fond et passionnée par ces légendes que lorsque mon premier frère est né en cours d’année, j’ai décidé, du haut de mes 4,5 ans, qu’il s’appellerait Télémaque !!! Rien que ça ! J’ai traumatisé bon nombre de gens car pendant plus d’un an, ma mère m’a raconté que je claironnais à tout-va que j’avais un petit frère qui s’appelait Télémaque !
En primaire, j’avais décidé d’être auteur alors que je savais tout juste écrire mon prénom et je voulais être aussi archéologue pour travailler en Grèce. Deux métiers que j’exerce aujourd’hui avec grand bonheur.
Comment devient-on Égyptologue ?
Avec la passion et une détermination à toute épreuve ! Les études sont longues – j’ai moi-même un BAC + 13 – il faut consentir à énormément de sacrifices et ne pas lésiner sur le temps à investir. Personnellement, cela fait des années que je travaille entre 70 et 80 heures par semaine. Les places sont chères, l’ambiance dans le milieu égyptologique français est exécrable et il faut avoir le mental pour tenir et faire face à tout cela.
D’un point de vue universitaire, pour devenir égyptologue, il faut idéalement suivre un cursus en Histoire ou en Histoire de l’Art et Archéologie (ce que j’ai fait). Cela correspond à une Licence (3 ans), puis à un Master (2 ans) et à une thèse (au moins 3 ans). Pour ma part, j’ai perdu un peu de temps car on m’a obligée à arrêter ma première thèse quand j’ai appris qu’une étudiante australienne avait soutenu en thèse l’équivalent d’un gros chapitre de la mienne, ce qui m’a fait perdre deux années. J’ai recommencé sur un nouveau sujet, celui des enfants en Égypte ancienne, et il était tellement vaste que j’y ai consacré six années.
Comment s’est passé l’écriture de votre premier livre ?
J’ai débuté l’écriture de mon premier livre à 14,5 ans, sur des légendes méconnues de la mythologie grecque, que j’avais repérées dans un très vieux dictionnaire Larousse. Les nombreux livres de mythologie grecque que je possédais n’en parlaient pas, ce qui m’a décidé à en faire un recueil d’environ 80 légendes pour permettre à d’autres passionnés comme moi de les découvrir. Je venais de rentrer en 2° et tous les week-ends, je sortais un tome de la collection Larousse qui devait en comporter une quinzaine. Je lisais entièrement le livre et chaque fois que je tombais sur un personnage que je ne connaissais pas, je compilais ce que je trouvais et je faisais ensuite des compléments de recherche dans des livres plus spécialisés. J’ai réalisé le tapuscrit sur les ordinateurs de la salle informatique du lycée. Un grand moment ! La littéraire que j’étais était assez désemparée (les ordis dans les maisons étaient encore rares et nous n’en avions pas). Mais j’ai pu compter sur la bienveillance des lycéens matheux du club informatique, assez intrigués de voir l’extraterrestre que j’étais débarquer dans un univers très éloigné du mien !
Puis le CPE qui gérait le club informatique m’a prévenue d’un concours « Projet Jeunes » organisé par le Crédit Mutuel et m’a suggéré d’y participer. C’est ce que j’ai fait en envoyant un recueil de quelques légendes. J’ai remporté le premier prix, un article est passé dans La Dépêche du Midi, le journal de Midi-Pyrénées et une éditrice de Toulouse a alors contacté mon lycée pour me publier !
Est-ce qu’écrire, c’est s’adonner au devoir de mémoire ?
Je pense que ça l’est pour certains auteurs ou pour certains livres. Pour ma part, ce n’est pas un devoir de mémoire, mais un devoir de transmission. C’est important de tirer les gens vers le haut, de leur (re)donner le goût de la lecture, de l’histoire et de leur transmettre l’héritage de pans de notre passé. Et j’éprouve tellement de plaisir et de bonheur à faire de la recherche, à réfléchir, à faire avancer nos connaissances sur l’Antiquité que j’ai envie de le partager, j’ai envie que les gens éprouvent ce même plaisir que moi en lisant toutes ces connaissances que j’apprends et que je découvre.
Que pensez-vous des romans vulgarisant l’Égypte ancienne ?
Je pars du principe que tout le monde ne sera pas intéressé par la lecture de livres de vulgarisation scientifique, d’abord parce que certains restent compliqués ou inaccessibles dans la façon dont ils sont écrits et qu’ils découragent les lecteurs. D’autres personnes pensent qu’ils ne sont pas assez intelligents pour les comprendre. Ce qui me fait bondir quand on me dit ça ! C’est à nous, scientifiques et autres historiens, d’arriver à mettre à la portée de tous nos connaissances. Mais parfois, même avec de la bonne volonté, des livres peuvent rester ardus. Donc l’alternative à transmettre des connaissances par le biais d’un roman historique est une très bonne chose. Malheureusement, je déplore qu’en égyptologie, il y ait extrêmement peu de romans historiques dignes de ce nom. En effet, l’Égypte étant très vendeuse, on ne compte plus le nombre de romans sur cette belle civilisation. Mais ils sont truffés de fantasmes, d’erreurs sur l’histoire ou sur la vie quotidienne, ou tournés vers l’ésotérisme. Pour ma part, je ne peux que conseiller la lecture des romans non historiques de Pauline Gedge. Elle prévient le lecteur qu’elle n’est pas une spécialiste, donc on sait qu’il faut avoir un peu de recul sur le quotidien dont elle parle, mais elle propose des romans qui restent très bien documentés et merveilleux à lire. Elle est mon auteur préféré et indétrônable depuis mon adolescence.
Vous écrivez également des livres pour la jeunesse. Est-ce plus simple ou plus difficile que d’écrire pour les plus grands ?
J’avoue que je ne me suis jamais posée la question. J’ai la chance d’avoir toujours de l’inspiration, d’écrire vite, facilement et de ne reprendre que très rarement mes écrits. Pour moi, l’essentiel, c’est de transmettre ma passion et mes connaissances, donc je m’adapte au public visé. Le fait d’intervenir beaucoup en écoles et en collèges fait aussi que depuis plus de quinze ans maintenant, je sais me mettre à la portée de tous, je sais comment expliquer les choses, donc il n’y a rien de difficile pour moi.
L’enfance tient une part importante dans vos écrits. Comment l’expliquez-vous ?
J’ai toujours aimé les enfants d’aussi loin que je me souvienne et en grandissant, les motifs ont parfois évolué. L’enfant est roi dans notre société, pourtant les adultes pensent beaucoup et parfois trop à leur place. Une fois, des animateurs d’une médiathèque m’ont dit à propos d’enfants de cité venus jouer en réseau et à qui je voulais proposer de participer à une de mes animations sur l’Égypte : « vous savez, ces gamins, ils n’ont jamais ouvert un livre de leur vie, ils ne viennent que pour jouer en réseau et ils ont réservé leur place depuis un mois, ce que vous faites ne les intéressera pas ». Partant du principe qu’il vaut mieux s’adresser à Dieu qu’à ses saints, j’ai proposé à ces jeunes de suivre l’animation [qui durait deux heures] le temps qu’il voudrait. La première heure était une initiation aux hiéroglyphes, la seconde heure, un atelier d’écriture. Il y avait une quinzaine de petits garçons et pré-ados, j’ai réussi à en convaincre une dizaine de venir : non seulement ils sont tous restés jusqu’au bout et ont participé activement, mais ils sont allés chercher leurs copains l’heure suivante parce que « c’est trop bien les gars ! ». Et ces mêmes animateurs qui n’avaient pas cru en eux, qui avaient jugé à leur place, m’ont confié que, durant la semaine, ils avaient assisté à un miracle : certains leur avaient demandé des livres sur l’Egypte ! Voilà pourquoi je m’intéresse tant aux enfants, déjà parce qu’ils m’apprennent des choses, parce qu’ils me font envisager des réflexions que je n’aurais pas eues en tant qu’adulte, parce que ce sont des éponges à informations, parce que c’est mon devoir, en tant qu’égyptologue, de les éveiller au plaisir de la connaissance et de l’histoire, et parce qu’ils sont là, mais invisibles à bien des plans, pour les adultes.
La vie d’auteur est une drôle de vie. Avez-vous une anecdote amusante à nous raconter ?
J’en ai en effet une hilarante ! L’association France-Egypte de Limoges m’avait demandé de faire une conférence un vendredi soir et de rester tout le week-end à Limoges, comme invitée d’honneur de leur stand au Salon du Livre, pour y proposer mes livres à la vente. J’avais à ce moment-là publié onze livres, j’étais donc partie de chez moi avec deux énormes valises si lourdes que je peinais à en soulever une seule des deux mains. J’arrive au métro à Toulouse et là, au moment de monter dans la rame, impossible : les valises butaient sur le changement de niveau ! Un jeune homme me dit « Occupez-vous de celle-ci, moi, je prends l’autre ». Et de conclure « elle est lourde votre valise ! ». Comme les hommes ont souvent tendance à penser que, nous les femmes, on transporte notre vie dans la valise, je lui réponds : « elles ne contiennent que des livres ». Il me demande si je pars longtemps et quand je lui réponds que je rentre à Toulouse trois jours après, il me lance un regard absolument horrifié et pétrifié, et ose un : « Mais vous aimez lire à ce point-là ! ». J’en ris encore.
Quelle est votre actualité littéraire ?
Je ne sais pas faire une chose à la fois, alors il en va de même quand j’écris. Il y a tout d’abord trois gros chantiers constitués par des livres de vulgarisation scientifique. Le premier m’occupe depuis déjà cinq ans et concerne le cheval dans les mythes grecs. Le but est de valider ces travaux dans le cadre d’une habilitation universitaire (une sorte de seconde thèse) et de publier un livre scientifique et un livre à destination du grand public.
Je prépare également un futur livre sur la sexualité en Égypte ancienne, un autre sur les permanences et survivances culturelles de l’Égypte ancienne à nos jours.
Il y a ensuite la version senior du Bienvenue à l’école des petits scribes, à la base un livre d’initiation aux hiéroglyphes pour les 7 ans et plus, constitué de dix chapitres qui permettent au jeune lecteur de découvrir toutes sortes de thématiques (la famille, le pharaon, les dieux, les animaux, la momification, l’astronomie…) par le biais des hiéroglyphes, avec des jeux et des exercices pratiques et ludiques en fin de chapitre. Ce livre a suscité un engouement génial chez les enfants, mais aussi chez les adultes. Du coup, certains l’ont acheté pour eux et d’autres m’ont dit qu’ils regrettaient qu’il ne soit pas pour adultes. Donc je prépare une version pour adultes qui devrait être très sympa (là, je travaille sur le chapitre des délits, crimes et châtiments en Egypte ancienne !).
Je travaille également à l’écriture d’un polar historique se déroulant en Égypte et enfin, je cherche une histoire sympa à construire autour du titre Doudou et les chaussettes de Toutânkhamon pour ma saga jeunesse consacrée aux aventures d’un petit garçon prénommé Doudou (un vrai prénom égyptien !). J’ai eu l’idée de ce titre plutôt amusant mais c’est un peu plus compliqué de trouver une histoire crédible !
Quel est le dernier livre que vous ayez lu ?
Rosalie Lamorlière : celle qui accompagna Marie-Antoinette à l’échafaud de Ludovic Miserole. Je suis ultra fan de ce genre de roman historique extrêmement documenté et tout aussi bien écrit !
Amandine Marshall
Amandine Marshall est égyptologue, historienne et archéologue de formation. Auteur de treize ouvrages sur l’Antiquité égyptienne, mais également grecque et romaine, elle collabore aussi bien avec les musées qu’avec les institutions scolaires ou culturelles pour favoriser auprès des enfants et des adultes la curiosité et le plaisir de découvrir l’histoire.