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Interview de Bob Garcia

30 Août 2015

Couv Crime express de LorientQuel est le premier livre que vous vous souvenez avoir lu ?

Gédéon en Afrique de Benjamin Rabier ! J’étais vraiment petit et je commençais tout juste à lire. Mais les péripéties improbables de ce canard en Afrique me fascinaient. Il y avait déjà tout ce qui continue de m’intéresser : l’aventure, le voyage, l’exotisme, l’humour, et l’association des dessins en « ligne claire » et du texte ! Beaucoup plus tard, j’ai découvert les récits de Jules Verne, dont beaucoup se passaient aussi en Afrique et dans des contrées lointaines. Encore plus tard, en relisant Hergé, je me suis rendu compte qu’il était l’héritier direct de Rabier et de Jules Verne, auxquels il a d’ailleurs emprunté plusieurs idées pour Tintin au Congo.

Pensez-vous qu’il faille être un grand lecteur pour être un bon auteur ?

Je ne suis pas certain qu’un grand lecteur fasse un grand écrivain. Pas plus qu’un grand auditeur de musique ne fera forcément un grand musicien, ni qu’un grand amateur de théâtre ne fera un grand comédien.

Mais il est certain qu’un auteur a besoin de se « nourrir ». Aucune œuvre ne nait ex nihilo. Certains auteurs lisent beaucoup de romans, d’autres se contentent de lire les faits divers ou de regarder la TV, d’autres encore trouvent leur inspiration dans la vie quotidienne… ou dans les paradis artificiel !

Pour moi, la lecture a été l’apport le plus nourrissant. Je dévore les livres, les BD, les journaux, les magazines, depuis toujours. Je ne cesse d’y puiser des idées (de forme comme de fond). Mais une idée de roman peut aussi surgir au détour d’une conversation, à la lecture d’un fait divers, ou à la vue d’une œuvre d’art.

À chacun sa « lecture », pourvu qu’elle attise l’imagination et fournisse la « matière première ».

Mais tout cela est vain s’il n’y a pas un minimum de prédisposition pour l’écriture. Certains ont l’art de raconter des histoires, par écrit ou oralement, d’autres pas. Les seconds pourront toujours lire des bibliothèques entières, cela ne fera pas d’eux de bons écrivains ! Nous ne sommes pas égaux face à la page blanche !

Comment vous est venue cette passion pour Tintin ?

J’ai découvert Tintin dans mon enfance, cloué au lit par de violentes crises d’asthme. Mes parents me donnaient un album de Tintin. C’était une diversion et un placebo. Quand je m’évadais dans cette lecture, la souffrance était reléguée au second plan. Je lisais Tintin encore et encore, pour fuir la douleur et rêver de voyages que je ne pouvais physiquement pas faire.

Et à chaque lecture, je découvrais de nouveaux détails insolites qui m’avaient échappés lors des précédentes lectures. Ces découvertes me posaient toujours plus de questions. C’était comme un code que je n’arrivais pas à décrypter. La conclusion a fini par s’imposer. Tintin ne s’adresse pas aux enfants, ou du moins ce qu’ils peuvent en comprendre ne représente que la partie visible de l’iceberg. D’ailleurs Hergé n’a-t-il pas annoncé la couleur : « pour les lecteurs de 7 à 77 ans », c’est à dire pour environ 14 % d’enfants et d’ados (de 7 à 18 ans) et 86 % d’adultes (de 18 à 77 ans) !

Quand je suis devenu adulte, j’ai eu envie de répondre aux questions laissées en suspend… D’où mon travail de recherche sur les sources, influences de Hergé, mais aussi les messages, clins d’œil et autres allusions distillés dans son œuvre.

Vous avez écrit plusieurs romans dont le protagoniste est Sherlock Holmes. Dans quelles conditions peut-on reprendre un personnage créé par un autre auteur ?

Avant de commencer à écrire, j’ai hésité entre Sherlock Holmes et Batman. Pour moi ce sont des personnages très proches : épris de justice mais plutôt torturés, ambivalents et ambigües à souhait. J’ai finalement opté pour Holmes, mais cela ne m’intéressait pas de plagier ou de pasticher Conan Doyle. Trop d’auteurs ont pondu des sherlockonneries sans intérêt où Holmes se contente de résoudre la énième énigme à l’aide d’enchainements de déductions douteux.

Le décor me fascinait aussi. Tout comme pour Gotham City, les bas fonds de Londres ont engendré des monstres. Holmes est à la fois leur égal et leur ennemi…

Le Testament de Sherlock Holmes est un pur roman d’horreur, plus proche d’un film comme Seven que d’une gentille énigme de salon. Certains holmésiens purs et durs ont été choqués et m’ont reproché de ne pas respecter le personnage créé par Doyle. J’ai alors compris que j’avais réussi mon pari !

Existe-t-il une différence entre votre Sherlock Holmes et l’original ?

J’ai plutôt voulu explorer le côté sombre du personnage. Doyle a suggéré quelques pistes : Holmes est célibataire, il ne vit que pour ses enquêtes, il se drogue pour tromper l’ennui entre deux « cas ». J’ai voulu voir jusqu’où pouvait aller sa schizophrénie. Mon personnage se promène sans filet au bord du gouffre. Il est devenu accro à la drogue, s’est enlisé dans des recherches délirantes, fait preuve de fulgurances géniales, mais aussi de pulsions suicidaires. Ce n’est pas une machine. Il se plante parfois lourdement dans ses déductions et doit s’y reprendre à plusieurs fois pour approcher la vérité.

Vous êtes un grand amateur de Jazz. Écrivez-vous en musique ?

Pas nécessairement. Quand les idées arrivent, elles s’imposent avec violence et l’environnement n’a plus aucune importance. Il pourrait y avoir un big band dans la pièce où j’écris, que je n’y prêterais pas la moindre attention.

Quel est votre emploi du temps à la sortie d’un nouveau livre ?

À chaque nouveau livre, il est important de communiquer et de le faire connaître. Cela passe d’abord par les « services de presse » envoyés aux journalistes, aux prescripteurs, aux chroniqueurs, etc.

Je m’efforce aussi de répondre aux différentes interviews radio, tv, presse écrite, etc.

Ensuite, il faut être présent sur les salons et rencontrer les lecteurs.

C’est une question d’organisation pour gérer tout cela en parallèle avec mes autres activités !

La vie d’auteur est une drôle de vie. Avez-vous une anecdote amusante à nous raconter ?

« C’est vous qui avez écrit ce livre ?
– Oui.
– Mais Sherlock Holmes, c’est Conan Doyle d’habitude. Vous êtes le traducteur alors ?
– Non, je suis l’auteur.
– Vous êtes Anglais ?
– Non, Français.
– Ah d’accord, vous êtes l’éditeur français de Conan Doyle ! Ne me dites pas l’inverse, je m’y connais.
– Bon, d’accord. »

Le Crime Express de Lorient est votre dernier roman. Pouvez-vous nous en parler ?

Tout est parti d’un fait divers bien réel, une machination inouïe, tellement hallucinante que j’ai eu envie d’en faire un roman.

Le pitch :
Une nuit un obscur avocat charge en catimini dans le coffre de sa voiture un paquet à la forme humaine. Le forfait s’est déroulé en quelques secondes, mais une femme a vu la scène depuis son balcon et a pris quelques photos qui arrivent opportunément entre les mains de la police.
Une enquête de voisinage confirme que l’épouse de l’avocat – qui est également juriste – a bien disparue. L’avocat est placé en garde à vue, sa maison est perquisitionnée. Les questions s’accumulent et le mystère s’épaissit. De rebondissements en coup de théâtre, la solution surgit dans les dernières pages du livre, à des années lumières des hypothèses les plus folles.

J’ai décidé de placer l’intrigue à Lorient pour créer ce titre clin d’œil à la grande Agatha.

Quel est le dernier livre que vous ayez lu ?

Pandemia de Franck Thilliez, pour moi un des meilleurs auteurs actuels de Thriller, qui propose en outre une réflexion solidement documentée sur les dérives et les excès technologiques de notre monde.

Bob Garcia

Bob Garcia

Passionné de littérature populaire, de musique et de bandes dessinées, Bob Garcia a publié une trentaine de polars (Éditions du Rocher, Rivages, Moisson Rouge, etc.), d’études tintinophiles (Editions MacGuffin), et d’essais et articles sur le monde du jazz (Editions Laurent Debarre).

Il tient en outre des chroniques littéraires et musicales sur plusieurs médias radios et TV (TSFJAZZ, Telessonne, JazzActu.tv, etc.).

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