Interview de Bettina Nordet
Quel est le premier livre que vous vous souvenez avoir lu ?
Après la pluie le beau temps de la Comtesse de Ségur. Ensuite ont suivi François le bossu, La sœur de Gribouille, Les malheurs de Sophie et consorts (toujours de la Comtesse de Ségur), Le roman de la momie de Théophile Gauthier, etc. Et je ne parle même pas des Alice Détective, Club des Cinq et autres livres de la bibliothèque rose ou verte… Toute la bibliothèque de mes parents y est passée.
Pensez-vous qu’il faille être un grand lecteur pour être un bon auteur ?
Je ne sais pas trop. La logique voudrait que je réponde non, puisqu’il devrait suffire d’avoir de l’imagination et de maîtriser correctement le français pour écrire, mais quid par exemple de la capacité à gérer le rythme ? Les ruptures nécessaires dans le récit pour accrocher l’attention du lecteur ? Dans quelle mesure le fait de lire, lire, et lire encore, n’imprime-t-il pas inconsciemment tout cela dans l’esprit du futur auteur ? Je me pose la question, mais je n’ai pas la réponse. La lecture étant une invitée permanente dans ma vie, j’ai du mal à me projeter dans un « non lecteur ».
Comment l’écriture est-elle venue à vous ?
Je ne sais pas si l’on peut vraiment dire que l’écriture « m’est venue ». En fait, c’est plutôt quelque chose qui s’est « imposé ». Quand vous avez la tête pleine d’histoires, de personnages, qui s’invitent sans permission, se télescopent, bouillonnent encore et encore, la seule solution c’est de les écrire pour s’en libérer, et… faire la place à d’autres… C’est en flux tendu. Ça ne s’arrête jamais.
C’est à l’âge de dix ans que j’ai découvert que l’écriture était aussi passionnante que la lecture, et je me suis lancée dans la rédaction de poèmes et de récits dont je faisais profiter mes camarades de classe. Ensuite, je les conservais dans un grand classeur, que j’ai toujours, d’ailleurs. Ce n’est que bien plus tard, bien sûr, que j’ai osé sauter le pas de l’écriture « sérieuse » et proposer mes écrits à un éditeur. J’ai lu mes premiers livres du genre fantastiques à l’âge de 13 ans et demi. Je me souviens encore de leurs titres : La maison aux milles étages et Plus noir que vous ne pensez. Une autre véritable révélation. Ont suivi les Tolkien, et de la science-fiction comme Volte face, ou de l’anticipation comme Et les hommes voulurent mourir. Puis ce furent les Anne Rice, et je plongeai dans la littérature vampirique, mettant un pied dans un genre que j’affectionne particulièrement : la Bit-Lit/Urban fantasy.
Avez-vous des habitudes d’écriture ?
Tout à fait ! Ce sont toujours les mêmes. Il me vient tout d’abord une idée d’histoire, dont les personnages et les péripéties m’obsèdent. J’y pense tout le temps, et le seul moyen de m’en libérer c’est de les écrire. Je pratique alors de la façon suivante : durant plusieurs mois, je note sur un petit calepin qui ne me quitte jamais toutes les idées qui me viennent concernant l’histoire (péripéties, scènes, relations entre les personnages, etc), comme ça, fini les bonnes idées qui s’envolent ! Car si on ne les note pas immédiatement, on ne s’en souvient jamais. Une fois que j’ai l’impression d’avoir à peu près « récolté » toutes les idées, je commence à élaborer la trame de mon roman.
La trame c’est le plan détaillé, le squelette du récit. Tout y est répertorié : actions, caractère des personnages, avec leur passé, leurs fêlures, leurs craintes, leurs espoirs, leurs amours, les suspenses, les retournements de situation, etc. En procédant ainsi, on n’oublie rien, on ne connaît pas les affres de la page blanche, et on sait très exactement où l’on va, ce qui évite au lecteur l’impression pénible que l’auteur n’a pas de fil conducteur, pas d’unité dans son histoire. Une fois la trame terminée, il ne reste plus qu’à mettre la chair sur le squelette, c’est-à-dire : rédiger. Et ça, c’est le meilleur ! Bref, quand je commence l’écriture proprement dite d’un roman, je sais très exactement, au mot près, comment il se termine.
Comme je m’intéresse à beaucoup de choses, que j’adore l’histoire, la mythologie, les légendes, que je suis attirée par ce qui est caché et ce qu’on n’explique pas, j’aime bien l’idée de chercher un lien entre des choses et des univers qui semblent complètement différents, voire opposés. C’est comme un défi, une enquête où je cherche l’indice, la faille qui va me permettra d’accorder tout ça. J’ai toujours été fascinée par les contraires : le bon et le mauvais, l’ombre et la lumière, le féminin et le masculin, etc, et je suppose que c’est pour ça qu’on retrouve régulièrement dans mes écrits des thèmes ambivalents.
Je suis consciente que pour le tome 2 de La Geste des Exilés, j’ai marché sur le fil du rasoir. Une suite est déjà quelque chose de délicat, car ceux qui ont aimé le tome 1 attendent l’auteur au tournant, et il y a un risque de décevoir, et là, en plus, je fais traverser à mon héroïne des péripéties un peu « particulières ». Mais cette histoire s’est imposée comme ça. Je n’allais pas l’amputer, l’édulcorer. Je l’ai écrite comme je la sentais.
Un jour, j’ai lu l’interview d’un auteur connu (je ne me souviens plus de qui il s’agit), à qui l’on posait la question de savoir quel genre de livres écrire pour avoir du succès auprès des lecteurs. Il avait répondu ceci : « Tous les genres sont bons, hormis le genre ennuyeux. On peut énerver le lecteur, le bousculer, voire le choquer, mais jamais l’ennuyer. ». C’est une chose que je garde constamment à l’esprit quand j’écris.
Vous êtes adonnée pendant longtemps aux jeux de rôle. Est-ce une bonne école pour écrire des romans ?
Je ne sais pas si c’est une bonne école pour écrire des romans, mais ce qui est certain, c’est que ça permet de prendre la mesure de son imagination, surtout si on joue les maîtres de jeu (ce qui m’arrivait souvent) et que l’on crée les intrigues au lieu de se contenter de celles trouvées dans le commerce. En fait, ça ressemble énormément à l’élaboration de la trame d’un roman.
À quel moment savez-vous que l’histoire que vous racontez est une bonne histoire ?
Honnêtement, je ne sais pas, car je ne juge qu’avec mon cerveau 😉 J’écris ce qui me plait, ce qui m’attire, m’intrigue, me passionne et surtout ce que me souffle ma muse. Je pense que l’on n’est jamais objectif avec ses propres écrits, et qu’il est donc nécessaire d’être lu par d’autres personnes à chaque nouveau projet. Ne serait-ce que quelques chapitres pour voir si le bon dosage y est, si l’intérêt est là.
Quels sont les genres que vous avez abordés, ceux qui vous font de l’oeil ?
J’ai abordé l’urban fantasy et la Bit-lit (avec mes 4 nouvelles et la trilogie de La Geste des Exilés) et le roman d’aventure romanesque historique (avec Le Cycle du Lys). Quant à ceux qui me font de l’œil, il y en a pas mal. Je ne citerai que les principaux : la dystopie, le M/M (récits de genres divers mettant en scène des histoires d’amour entre hommes), et la fantasy.
La vie d’auteur est une drôle de vie. Avez-vous une anecdote amusante à nous raconter ?
Oui, trois (je suis bavarde ^^) : le jour où je suis devenue une délinquante pour « nourrir » le livre que j’écrivais à cette époque, celui où je me suis découvert des tendances à la schizophrénie, et enfin un instant assez spécial vécu lors d’une séance de dédicaces 😉
Première anecdote : Un jour, il y a quelques années, à l’époque où j’étais en train de monter la trame du tome 1 du Cycle du Lys, ma série historique d’aventure romanesque dont l’intrigue se situe durant la Révolution française, je patientais dans la salle d’attente de mon dentiste, et, en feuilletant tout à fait par hasard un magazine vieux de plusieurs mois, je suis tombée sur un dossier complet sur le château de Versailles : plans en coupe 3D du château, avec les noms des pièces et tout et tout ! Plan des jardins ! Bref, une merveille ! Je n’ai pas pu me résoudre à abandonner ces documents extrêmement intéressants pour moi, et j’ai proprement arraché ces pages. Bouh, que j’ai honte !
Deuxième anecdote : Un autre jour, je relisais des dialogues écrits un peu plus tôt, histoire de me faire une idée du rendu de la scène dans laquelle ils se situaient, et à un moment donné, en lisant une phrase que prononçait un de mes personnages, je me suis mise à rire en secouant la tête tout en disant (et en pensant, c’est ça le pire !) : « Il est vraiment excellent, ce Fabbio ! ». Puis, là, tout d’un coup, je me suis figée, presque catastrophée, et vaguement inquiète. Je me suis dit : « Hey, ça va pas bien, ma fille ! C’est toi qui lui fais dire ça… ! ». C’est grave, docteur ?
Troisième anecdote : Lors de mon dernier Salon du Livre de Paris, pendant mes dédicaces, un monsieur très sympathique, qui venait d’acquérir Pacte obscur le tome 1 de La Geste des Exilés pour en faire cadeau à ses deux filles, se présente devant moi pour une dédicace. En discutant avec lui, j’apprends que l’une d’elle est un peu jeune pour cette lecture. Je lui conseille alors d’attendre trois ans avant de le lui faire lire, en lui expliquant qu’à son âge l’intrigue ne correspondrait sans doute pas à ses attentes, et ensuite je l’informe de la présence d’une scène sensuelle dans le roman. C’est alors que le frère du monsieur, présent à ses côtés, fort sympathique également, me demande si je veux bien lui faire lire la dite scène pour qu’il puisse se faire une idée. Ce que j’ai fait. Ce fut un moment très drôle partagé avec Anne Laure, un autre auteur des Éditions du Chat Noir (Série Les Herbes de la Lune).
Quelle est votre actualité littéraire ?
Je suis plongée dans l’écriture du tome 3 de La Geste des Exilés.
Quel est le dernier livre que vous ayez lu ?
Le tome 2 des Sœur Charbrey, Un mari récalcitrant, de Cassandra O’Donnell. J’adore positivement tout ce qu’elle écrit, et j’avoue que la romance historique est un genre que j’affectionne.
Bettina Nordet
Bettina Nordet vit sous le soleil de Provence. L’apprentissage de la lecture est pour elle une révélation : à partir de cet instant elle dévore tous les livres qui lui tombent sous la main. C’est à l’âge de dix ans qu’elle découvre que l’écriture est tout aussi passionnante. Elle commence par écrire des poèmes, puis des récits, dont elle fait profiter ses camarades de classe. Ce n’est que bien plus tard, qu’elle osera sauter le pas de l’écriture « sérieuse » et proposer ses écrits à un éditeur.
Passionnée d’Histoire et de mythologie depuis l’adolescence, elle se plonge régulièrement avec délectation dans tous les ouvrages qui y ont trait, et amoureuse du merveilleux, elle s’adonne durant onze ans aux joies du jeu de rôle médiéval fantastique.
Après des études de droit et de commerce, elle embrasse une carrière au service des autres, qui lui laisse assez de temps libre pour assouvir ce qu’elle nomme affectueusement son « vice » : l’écriture.
Elle écrit des romans et des nouvelles d’urban fantasy, et des romans historiques d’aventures romanesques, mais d’autres genres lui font aussi de l’œil…