Interview de Martine Magnin
Quel est le premier livre que vous vous souvenez avoir lu ?
C’est difficile à dire, ma grand mère me lisait tout le temps des contes et des légendes, elle en écrivait (toute ma famille écrit et publie), nous en inventions ensemble, etc. Ma vraie première lecture, je crois, c’était Alice au Pays des Merveilles. J’ai encore le livre. Il représente pour moi un exemple parfait de la lisière floue qui existe entre l’imaginaire et le réel. J’entends encore dans ma tête les pas cadencés des cartes de jeux soldats qui paradaient, je me souviens du lapin qui courrait, toujours pressé, avec sa montre gousset dans la main, et de sa chanson : en retard, en retard, je suis toujours en retard… C’est le livre de tous les possibles, du changement de taille, d’univers, du passage de l’autre côté du miroir, de la fiction. J’ai aussi encore le livre bleu du Petit Prince et Jonathan le Goëland qui eux aussi permettent des lectures multiples, à différents niveaux, de l’anecdote à l’initiation spirituelle.
Dans quelles circonstances avez-vous écrit votre première histoire ?
À dix ans, j’ai écrit « La princesse qui cassait tout » un conte qui a été utilisé sous la forme radiophonique par Jean Nohain (presque au 19° siècle donc !). Puis je n’ai rien écrit avant ma maturité… Je me suis alors lancée avec deux témoignages sous pseudo, Mensonges et Faux Semblants (2012 – Édition les 2 Encres) et L’enfant cousu de fil gris (2013 -IS Édition). Suivis de deux essais, l’un sur le thème des voeux de fin d’année, Le Petit Livre Rouge des Meilleurs Voeux (2014), et récemment La Défête des Mères (2015), tous deux chez Estélas Édition.
L’écriture est-elle une délivrance ?
Bien sûr, elle peut l’être, mais elle n’est heureusement pas que cela. Au-delà de l’expression parfois positive d’une douleur souvent enfouie, elle permet de mettre à distance, de partager les vécus, de mettre en lumière les
mécanismes toxiques que l’on peut contourner si on les repère à temps et de confirmer tous les bénéfices bien connus de la résilience éventuelle. Mais c’est pour moi également assez exaltant. Jouer avec les mots, les idées, chercher ce qui se cache en soi, trouver un nouvel équilibre. Voir un écrit qui prend forme, qui se crispe, s’envole, s’améliore est un plaisir égoïste total.
Quelles sont vos habitudes d’écriture ?
Tous les jours si possible, souvent la nuit, puis des phases de repos, de détachement, j’ai des carnets, je prends des notes, je retourne au texte pour le peaufiner sans fin jusqu’à l’édition.
Pensez-vous qu’il faille être un grand lecteur pour être un bon auteur ?
À mon sens, si on aime les mots, on aime lire et écrire. La notion de bon auteur, en voilà un gros dilemme. Un auteur apprécié, un auteur sensible, celui qui fait rire ou rêver, celui qui vous embarque dans des situations folles ? Il y a des auteurs primés qui me fatiguent, et des inconnus qui m’éblouissent. J’aime les auteurs exigeants, les fôtes d’aurtograff me font peur (et j’en fais aussi, j’en trouve toujours, même à la enième lecture), j’aime la petite musique des phrases. Il y a des textes dont le plaisir se situe aussi dans le rythme, dans la syntaxe, dans la jouissance des mots, bien au delà de l’intrigue.
Vous avez longtemps travaillé dans la communication. Pensez-vous qu’un auteur doit se doubler d’un bon communicant pour réussir ?
Disons que ça ne gâche rien, surtout si on a un nom inconnu, pas d’attachée de presse, un éditeur discret et que l’on souhaite exister quand il y a chaque jour des centaines de livres qui paraissent, des merveilles et des horreurs. Si on s’appelle Houellebecq ou Modiano, c’est inutile, d’autres se chargent de leur communications. Ils semblent d’ailleurs assez maladroits, et même peu séduisants (peut être le font-ils exprès ?), alors que souvent leurs écrits sont de vrais cadeaux.
Si nous étions en début d’année, pourrais-je vous souhaiter mes meilleurs voeux ?
Suivre le principe du Carpe Diem, cueillir le jour et ne pas croire au lendemain, en termes simples, continuer sur le chemin de l’apaisement et de la joie de vivre. Trouver ma voie du milieu, mon équilibre, devenir un peu plus intelligente, et pouvoir rencontrer Michel Onfray pour discuter avec lui quelques heures ! Voici trois voeux personnels et sincères qui me tiennent à coeur en plus des voeux plus classiques de santé et de tendresse dans toute ma tribu familiale.
C’est quoi La Défête des mères ?
C’est un essai littéraire qui tente de dénoncer la banalisation de la Fête des Mères. Imparfaites, nous le sommes toutes, et heureusement. Il reste qu’il est des mères toxiques, peu sincères, égocentriques, psychorigides, envahissantes, absentes… la liste est longue. Je suis exigeante pour moi, et pour autres, et je revendique ici le droit de ne pas dire « Bonne Fête Maman », si derrière ces mots il n’y a rien de vrai.
Après avoir écrit des essais, vous allez vous lancer dans la fiction. Peut-on en savoir plus ?
Cette idée d’écrire un roman fiction m’a prise au dépourvu. Le contexte s’est imposé à moi, le scénario et les personnages aussi. Je me suis lancée dans cette aventure avec plaisir, puis je me suis trouvée bloquée, incapable de donner vie à l’ensemble et décontenancée par ce type d’exercice. Brutalement intimidée par un cadre trop vaste et trop libre.
Rédiger un témoignage nécessite du courage, de la lucidité, de l’honnêteté. Écrire un essai me parait plus proche d’un travail au sens classique du terme : il faut recueillir des données, les compiler, les analyser, pour aboutir à une synthèse pertinente et intéressante.
Dans cet exercice de fiction je me suis retrouvée totalement larguée, il m’a fallu du temps pour reprendre tout à la base, me remettre en question, faire jaillir les sentiments, les sensations, les personnalités, et enfin m’amuser à faire vivre mon histoire. Ensuite comme à mon habitude, reprendre, corriger, remanier… Maintenant l’histoire est mienne, enfin !
Quel est le dernier livre que vous ayez lu ?
Je lis environ trois livres par semaine. Le dernier, c’est Dependance Day de Caroline Vié. D’accord on sourit mais pas que. D’accord on enrage mais pas que. Cette histoire de famille maudite qui se poursuit à travers les générations m’a touchée et pas uniquement grâce aux bons mots de l’auteur. J’ai ressenti dans ce roman qui se lit très vite (les relations parents-enfants, les fins de vie, les soignants…) tous les non-dits qui s’accumulent. Enfin la dernière partie,
est réellement poignante. On a envie de hurler à l’injustice de la vie. Avec un titre en forme de clin d’oeil au cinéma de genre, une écriture nerveuse, acerbe, sans concession, pétrie d’un humour à froid qui nous permet de survivre avec le personnage, à cette chute vertigineuse que nous redoutons tous.
Un roman coup de poing, d’une lucidité tout à la fois magnifique et impitoyable.
Martine Magnin
Papivore et lectrice boulimique, Martine Magnin a toujours été passionnée par ce qui cachait sous les mots et les formules les plus banales. Passionnée de sémantique, de philosophie et de psychologie, et après avoir consacré sa carrière à la communication sous toutes ses formes au service des entreprises et des institutions, elle se consacre aujourd’hui à l’écriture (la nuit) tout en menant une activité d’antiquaire (certains jours !).
Martine Magnin traite avec sensibilité et humour de sujets souvent intimes et graves sans jamais tomber dans le pathos. Le Petit Livre Rouge des Meilleurs Vœux est son premier essai publié. Elle partage sa vie entre sa Provence natale (avec délice) et Paris (avec parcimonie).
Excellent ouvrage à ne pas manquer, cadeau idéal pour mettre de l’ambiance lors de la fête des mères.
A offrir à sa mère ou à sa belle-mère, c’est selon 🙂
Cette interview est un réel cadeau ! Je suis en affinités avec Martine Magnin que je découvre.Tout ce qu’elle dit fait résonance. Nous sommes du même « pays », du même langage. Merci.
merci pour ce commentaire à Thérèse André Abdelaziz que je viens à peine de découvrir, désolée de ne pas avoir réagi avant, c’est un sujet qui peut paraître incongru mais qui me touche très profondément. bonne journée, et bonnes lectures !