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Interview de Thierry Crouzet

10 Juil 2015

cover_texmecaQuel est le premier livre que vous vous souvenez avoir lu ?

C’est un des Langelot du Lieutenant X publiés en 1968 dans la bibliothèque Verte. Je crois que j’ai commencé avec Langelot contre 6. Sans doute en 1973. Je me souviens qu’il était question de « lasers » mais dans ma tête presque jusqu’à la fin de l’histoire je comprenais « lacets ».

Pensez-vous qu’il faille être un grand lecteur pour être un bon auteur ?

Arthur Rimbaud écrit Le Bateau ivre en 1871 à 17 ans. Il n’a pas le temps d’être ce qu’on appelle un grand lecteur. Il suffit d’une complicité avec quelques textes marquants. Je crois surtout qu’il n’y a pas de recette.

Vous avez commencé par écrire des scénarios de jeux de rôle. Cette expérience a-t-elle fondatrice des projets d’écriture qui ont suivi ?

En mettant en scène des histoires devant le public des joueurs, j’ai pris goût à l’écriture. En 1987, j’ai rencontré Christian Lehmann qui venait de terminer La folie Kennaway. Il était joueur comme moi et il avait prolongé ses expériences dans un roman. J’ai alors envisagé cette possibilité. J’ai écrit un premier texte dans l’esprit Lovecraft, donc en droite lignée avec le jeu, mais paradoxalement je me suis rapidement éloigné de la littérature narrative pour expérimenter l’écriture à contrainte dans l’esprit Nouveau Roman, Oulipo et Perec. Aujourd’hui, je comprends que je cherchais à retrouver le jeu dans la littérature. L’interactivité me manquait dans le roman traditionnel. Faute de l’entretenir avec les joueurs, je cherchais à la simuler en m’inventant des interactions avec le monde extérieur. Par exemple, dans Équinoxe d’automne, avec Paris. Tout cela mène droit au blog et à La quatrième théorie, roman écrit sur Twitter en interaction avec les lecteurs. Je reste un joueur.

En 2011, vous vous sevrez volontairement d’internet pendant 6 mois. De cette expérience, vous écrirez J’ai débranché : comment revivre sans Internet après une overdose. Vous considérez-vous comme un geek ?

Difficile de me définir autrement. En même temps que je lisais les Langelot, je démontais des trains électriques et des TV. J’ai programmé tout ce qui était programmable, je suis devenu ingénieur en électronique et robotique, puis journaliste spécialisé en informatique. Je n’ai jamais lâché les machines.

Votre blog vous présente comme un expert de rien. Est-ce pour cela que vous écrivez de tout ?

Ça tient d’abord à ma façon de penser. J’aime connecter des choses a priori déconnectées. Par exemple, le vol des oiseaux et la démocratie dans Le peuple des connecteurs. Quand je me suis lancé dans l’histoire d’Ératosthène, j’ai découvert que pour être heureux dans une époque où tout change, il fallait être touche-à-tout, parce que les catégories du passé n’existent plus et celles de l’avenir n’existent pas encore. Je détesterais qu’on me qualifie de philosophe, de romancier, de blogueur… Tous mes textes sont liés, mais chacun suit sa route.

Le blog est-il l’avenir de l’écriture ?

Le blog est une métaphore nouvelle, donc avec des potentiels formels jamais exploités jusque là. Je comprends pas les créateurs qui ne l’essaient pas et s’emprisonnent dans la vieille métaphore du livre. Maintenant, le blog n’est qu’une métaphore parmi beaucoup d’autres. Il ne faut en négliger aucune et sauter des unes aux autres.

Quel est, selon vous, le rôle de l’écrivain dans la société d’aujourd’hui ?

Je crois malheureusement qu’il n’a plus aucun rôle, moins qu’un Youtuber en tous cas. Pour qu’il ait un rôle, il faudrait pour commencer que les gens lisent des textes difficiles, qui exigent un engagement, or ils se tournent massivement vers les passe-temps (ainsi les best-sellers vendent toujours plus au détriment du reste de la création).

Pouvez-vous nous parler d’Une minute ?

L’idée est simple : Sara Cash annonce que l’humanité vient de recevoir un signal extraterrestre et bang, tout tombe en panne, black-out. Alors je raconte cette minute très particulière à travers un autre personnage, puis un autre… Tous les soirs, je publie un nouveau chapitre sur Wattpad. Peu à peu, une histoire émerge, même si l’action se déroule toujours au même instant : 21:45 heure française un jour de juillet. C’est un défi, une façon de revenir au jeu puisque plusieurs centaines de lecteurs commentent, votent, donnent des idées pour de nouvelles minutes. J’aime cette forme qui évacue le personnage principal et met en avant une myriade de personnages secondaires.

Quelle est votre actualité littéraire ?

Fin juin, est sorti La mécanique du texte chez Publie.net. C’est un essai au sujet de l’influence de la technologie sur la littérature. Je commence avec l’imprimerie, je continue avec la machine à écrire, le blog, Wattpad, le Markdown… Je définis les métaphores auteur et lecteur, les présente et les croise pour montrer où s’ouvrent les espaces littéraires contemporains. Je ne sais pas qui sera intéressé par cette chose à la fois théorique et autobiographique.

Quel est le dernier livre que vous ayez lu ?

Quelqu’un à tuer d’Olivier Martinelli. Un roman entre deux époques : la révolution espagnole et les années 1990, une belle musique entêtante. Je conseille même si je me suis pris la tête avec l’éditeur parce qu’il refusait de sortir ce livre en numérique, sous prétexte d’éviter le piratage.

Thierry Crouzet

Thierry Crouzet

Blogueur, essayiste et romancier, Thierry Crouzet est un auteur inclassable. Il a notamment publié J’ai débranché, le récit d’un burn-out numérique, Ératosthène, un roman historique futuriste, Le Geste qui sauve, l’histoire d’un médecin qui sauve 8 millions de vies chaque année.

Pour en savoir plus sur Thierry Crouzet : tcrouzet.com

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