Interview de Jeanne Faivre d’Arcier
Longtemps, je me suis couché de bonne heure. Parfois, à peine ma bougie éteinte, mes yeux se fermaient si vite que je n’avais pas le temps de me dire : « Je m’endors. »
Quel est le premier livre que vous vous souvenez avoir lu ?
Tous les Clubs des Cinq quand j’étais petite. À douze ans, j’ai enchaîné direct avec L’homme qui rit de Victor Hugo. J’étais bonne en français mais j’ai quand même pas mal calé sur le vocabulaire, évidemment. Il faut dire que dans les années soixante, il n’y avait la profusion d’offres en jeunesse qu’il y a aujourd’hui…
Comment en vient-on à écrire sur les vampires, un sujet déjà tant traité ?
Je lisais comme une dingue tous les livres qui paraissaient dans la collection Pocket Terreur dans les années 90 : Straub, Masterton, Dean Koontz, Niederman, Dan Simmons, et King bien sûr qui n’était pas publié chez Pocket, mais au Livre de Poche, si ma mémoire est bonne. Et un jour je tombe sur Entretien avec le Vampire d’Anne Rice. Et là ça été le grand choc. Je me suis dit, les vampires, c’est pour moi. Et j’ai commencé à écrire Rouge Flamenco. Au passage, le livre a cartonné et a fait l’objet de cinq éditions différentes : chez Manya en grand format, chez Pocket Terreur, en poche puis à nouveau en grand format chez Bragelonne sous le titre de L’Opéra Macabre, l’intégrale avec La Déesse Écarlate, le deuxième opus de ma trilogie, puis en numérique et enfin en traduction allemande chez Heyne, un grand éditeur Outre-Rin. Idem pour La Déesse Écarlate. Ces livres vivent toujours depuis vingt-cinq ans et sont devenus des classiques du genre en quelque sorte, ce que je trouve très gratifiant.
On vous a appelé la Anne Rice française. Ce fut un honneur, un poids ou un manque d’imagination des journalistes ?
Un honneur et une trouvaille de journalistes, mais un grand honneur surtout !
Comment la vie de l’auteur s’invite-t-elle dans ses romans ?
Dans Rouge Flamenco, il y a beaucoup de scènes de nuit. À l’époque j’étais noctambule, je trainais dans toutes sortes de boîtes mal famées jusqu’à des pas d’heures. Ces expériences ont été reprises dans le livre. Idem, les scènes à Séville, une ville que je connais assez bien. Les séquences où Carmilla, mon héroïne vampire, devient une star du flamenco avec l’aide de ses amis gitans sont directement adaptées de soirées que j’ai passées dans des bars de Triana, les faubourgs de Séville, où les Andalous des quartiers pauvres venaient danser le flamenco la nuit après le travail.
Les Encombrants, mon dernier roman noir publié par Bragelonne dans la collection Milady Thriller en 2017, relate l’histoire d’un bébé découvert sur un trottoir de Pigalle, dans un buffet destiné aux encombrants, le service de ramassage de la Mairie de Paris. Je vis à Pigalle depuis 1989. Beaucoup d’anecdotes racontées dans le roman sont tirées de ma vie quotidienne dans ce quartier où je discutais croquettes et toilettage dans la rue avec les dames de petite vertu que je voyais tous les jours parce qu’elles avaient des chiens et moi aussi. Je parle à l’imparfait parce que je vis surtout en Gironde maintenant et que ce quartier s’est gentrifié comme beaucoup d’autres à Paris. Il est nettement moins marrant qu’avant (et même pas marrant du tout !). Les scènes de nuit des Encombrants sont inspirées d’expériences épiques dans des bars qui ont complètement disparu et où je pouvais passer une nuit entière à parler du théâtre de l’absurde et de Beckett avec la gérante qui était transsexuelle, tandis que deux femmes en couple avec lesquelles j’étais amie étaient en train de rompre à côté de moi et qu’un autre copain pleurait sur mon épaule parce qu’il venait d’apprendre qu’il était séropositif. Tout ça a disparu… À 10 000 euros le m2 ce ne sont plus du tout les mêmes gens qui habitent ce quartier, hélas. (Pour être précise, les deux femmes sont à nouveau ensemble et le garçon séropositif est toujours en vie.)
Depuis quelques années, vous écrivez également pour la jeunesse. Est-ce que cela change votre façon d’écrire et de raconter ?
Énormément. J’avais un style gothico-flamboyant et j’écrivais de longues phrases qui correspondaient bien à mes histoires de vampires. En écrivant pour la jeunesse, j’ai fait comme les acteurs, je suis retournée à l’école et j’ai cassé mes tics d’écriture (pour d’autres, peut-être, mais bon…) Pour les enfants et les ados, il faut faire des phrases plus courtes, et passer au dialogue quand la pensée est compliquée à énoncer. Ce qui n’interdit pas d’écrire des choses très élaborées. J’ai une série pour les ados chez Castelmore, Le Vampire de Bacalan et Les Disparus du pont de Pierre, qui se passent à Bordeaux. Elle met en scène des jumeaux qui font des voyages dans le temps. Certaines séquences se passent dans les mêmes lieux mais à des époques différentes : durant l’Occupation dans une base sous marine allemande, pour le premier volume, et au quatorzième siècle, à l’époque où Bordeaux était anglais, et pendant un épisode de peste noire, dans le second.
Ces livres sont lus par les ados mais aussi par les adultes qui l’aiment beaucoup, dans la région de Bordeaux, parce qu’ils apprennent ou retrouvent, pas mal de choses sur leur ville.
Mon style a changé, notamment pour le polar : mes phrases sont plus courtes et plus percutantes (enfin je trouve) et il y a beaucoup plus de dialogues. Ce n’est pas une facilité, le dialogue. Un bon dialogue est difficile à écrire et demande beaucoup de soin.
Est-ce plus facile d’écrire une histoire qui se passe à l’autre bout du monde ou au coin de sa rue ?
Aussi difficile ou aussi simple, selon le point de vue. La Déesse Écarlate, mon deuxième livre sur les vampires, se passait en grande partie en Inde. j’y suis allée trois fois pour ne pas me planter sur la description des lieux, les ambiances, les scènes de rue, etc. Et j’ai lu une bonne cinquantaine de bouquins sur l’Inde : sur l’histoire du pays, les religions en particulier l’hindouisme, puisque je détourne les mythes hindouistes pour les infiltrer, sur un mode comique et poétique. Pour Le Dernier Vampire qui se passe pendant la Révolution Française et de nos jours, j’ai lu pendant un an une doc très fouillée sur la Révolution et en particulier sur la Terreur et la lutte fratricide entre les Montagnards et les Girondins (mon héros vampire, un avocat bordelais aspiré par le mouvement révolutionnaire, devient député à la Convention et appartient au mouvement girondin). Donc il y a un énorme travail de recherche et de documentation préalable. Idem pour ma série bordelaise destinée aux ados : elle m’a amenée à lire énormément sur Bordeaux, sur l’Occupation dans cette ville, sur sa base sous marine, sur la guerre de Cent ans et l’Aquitaine anglaise du douzième au quatorzième siècle. S’ajoute, pour ces deux livres un souci de vérité topographique. Quand on parle de lieux précis, à Bordeaux, et que le livre sera lu notamment par les Bordelais, il faut être très rigoureux sur les informations qu’on apporte au lecteur. C’est la même chose pour mes polars pour les adultes qui se déroulent sur le bassin d’Arcachon et à Pigalle. Le précision est essentielle.
Pour mes livres destinés aux enfants de 9 à12 ans chez Syros dans la collection souris noire , il n’y a pas eu de recherche préalable puisqu ‘ils se déroulent à l’époque actuelle ; souvent sur quelques jours. Mais ils ont tous le bassin d’Arcachon pour cadre et répondent aux mêmes exigences de précision topographique. En ce moment, j’écris un roman pour la jeunesse qui se passe essentiellement la nuit en une dizaine d’heures, sur moins d’un kilomètre carré. Je suis allée plusieurs fois à cet endroit, j’ai fait des photos, des croquis pour ne pas me gourer. Quand je sèche sur un détail, essentiel pour l’intrigue (genre, y a-t-il de l’éclairage public dans ce sentier ou pas ?), j’y retourne. C’est important ce genre de précision pour la crédibilité de l’histoire que je raconte. Si je me trompe, ça fout tout le roman en l’air, alors je fais super gaffe !
La vie d’auteur est une drôle de vie. Avez-vous une anecdote amusante à nous raconter ?
Un jour j’étais dans une école et je parlais de ma vie d’auteur, de mes livres, etc… Un petit môme tout mignon, la frimousse pleine de taches de rousseur, des cheveux blond paille et des lunettes à la Harry Potter, se dresse de son siège et me dit « Ah bon ? Vous êtes dans la vraie vie, alors ? » Il devait croire qu’un écrivain c’est une sorte d’ectoplasme rivé à un ordinateur. Là, ça a fait tilt pour moi. Depuis, dans les écoles, je raconte aux élèves plein d’anecdotes sur mes chiens, mes balades, mes déboires en bateau, quand on a failli se noyer mon mari et moi. Ça les fait beaucoup rire et la glace est brisée. Après, ils viennent me voir, me tutoient et me parlent des histoires qu’ils sont en train d’écrire (pour ceux qui le font). C’est très agréable, j’adore ces rencontres en milieu scolaire, je me suis découvert un goût de la transmission, même si je ne suis pas pédagogue : donner envie de lire aux enfants en les faisant rigoler, ça me plait beaucoup et je pense le faire assez bien. En librairie, je donne souvent mon adresse mail à des enfants qui achètent un de mes livres. Parfois, certains m’écrivent quand ils l’ont lu, pour me dire ce qu’ils en ont pensé. Une petite correspondance se noue. Elle dure quelques mois ou un an, après, ils grandissent et passent à autre chose bien sûr. De temps en temps, je reçois un mail du genre « Ah ben dis donc, je n’ai pas eu de tes nouvelles depuis longtemps ! » J’envoie des photos de mes chiens, je leur raconte un ou deux trucs, c’est rigolo et sympathique ces échanges.
Une autre fois, je cours sur la plage avec mon chien au Cap Ferret et je vois une dame assise dans une barque en train de lire Les Yeux de Cendre, mon polar qui se déroule au Cap Ferret. Il commence par la découverte d’un cadavre de femme dans une barque. Je m’arrête et me me mets à rire. Elle lève les yeux, je me nomme, on commence à bavarder… du livre évidemment et de choses et d’autres… C’est devenue une copine.
Troisième anecdote : je dédicace mes romans noirs dans une librairie bordelaise, une femme s’approche, achète douze exemplaires des Passagers du Roi de Rome, un roman noir qui, lui aussi, a le bassin d’Arcachon pour cadre. Je la regarde, ravie, estomaquée, elle me dit « ça me fera mes cadeaux de cet été pour les dîner chez des amis, c’est plus original qu’une bouteille de vin et ça laisse une trace ». Je me suis dit qu’elle avait du goût et de la jugeote, cette dame…
Quelle est votre actualité littéraire ?
Un recueil de l’ensemble de mes nouvelles fantastiques et noires va paraître cette année chez Rivière Blanche sous le titre de L’Écume de l’espoir. Sinon j’ai un programme de salons et de séances de dédicaces en librairie, j’ai en moyenne une rencontre par semaine tout au long de l’année.
Peut-on parler de vos projets ?
J’écris un roman jeunesse pour Syros que je dois rendre en avril et je dois terminer le premier jet d’un roman noir pour les adultes.
Quel est le dernier livre que vous ayez lu ?
Je suis en train de relire toute l’œuvre Simone de Beauvoir que j’ai achetée en pléiade en décembre pour avoir l’agenda Gallimard. C’est ma petite coquetterie, j’achète deux pléiades par an pour avoir l’agenda. ça me permet aussi de relire des auteurs que j’aime beaucoup : Colette, Proust…
Sinon ma grande découverte des six derniers mois c’est Philippe Jaenada : La Serpe, La petite femelle, Sulak. Et Annie Ernaux, que bizarrement je n’avais pas encore lue. Bon je m’arrête là, il fallait citer un seul livre…
Jeanne Faivre d'Arcier
Jeanne Faivre d’Arcier a écrit au cours des années quatre-vingt-dix les deux premiers tomes d’une trilogie sur les vampires qui lui valent d’être comparée à Anne Rice. Carmilla, l’héroïne de Rouge Flamenco, est transformée en vampire dans un bordel d’Alger vers 1840, puis, devient une star du Flamenco à Séville, une créature fatale qui déchaîne les passions, sur la scène comme à la ville. Le deuxième volet, La Déesse écarlate, est consacré à l’Inde et détourne les grands mythes hindouistes. Le troisième opus, Le Dernier Vampire a été rédigé après une parenthèse de douze ans au cours de laquelle Jeanne Faivre d’Arcier s’est surtout consacrée au roman noir. Ce livre mixe les codes du polar avec ceux de la littérature fantastique. Rouge Flamenco et La Déesse Écarlate ont été republiés en 2013 par Bragelonne dans une édition revue et corrigée, L’Opéra macabre.
Jeanne Faivre d’Arcier aborde le polar en 2001 avec L’Ange Blanc s’habille en noir, un texte qui mêle l’univers branché et clinquant de la pub à celui, plus souterrain, des afficionados du sado-masochisme. Elle récidive avec Les Yeux de cendre et Les Passagers du Roi de Rome, deux romans qui se passent au Cap Ferret et dans lesquels l’auteur décrit avec humour les mœurs locales. Elle publie en 2017 aux éditions Milady Les Encombrants, un ouvrage très noir qui se déroule à Pigalle et met en scène les oiseaux de nuit et les vrais rapaces qui se croisent dans ce quartier.
Jeanne Faivre d’Arcier écrit aussi pour la jeunesse. Cinq romans policiers pour les 9/12 ans sont sortis chez Syros dans la collection Souris Noire.
Le premier tome d’une série polar et fantastique bordelaise consacrée au Prince Noir pour les 12 ans et plus, Le vampire de Bacalan, a été publié en 2016 chez Castelmore. Le deuxième, Les Disparus du pont de Pierre, est sorti en octobre 2017. Ces livres mettent en scène deux jumeaux télépathes qui font des voyages dans le temps, un vampire et son chien géant, un mastiff de 140 kilos et deux flics du SRPJ.