Interview d’Éric Dupuis
Quel est le premier livre que vous vous souvenez avoir lu ?
Dans mon enfance, il me semble que c’était Oui-oui, sans trop de certitude, sachant que j’ai plus de souvenirs de l’époque où je consommais beaucoup de Club des cinq, et par la suite, des livres plus connus comme L’appel de la forêt, Croc blanc… pour basculer vers la science-fiction à l’âge de l’adolescence, juste avant de découvrir les grands écrivains en vue du BAC français.
Pensez-vous qu’il faille être un grand flic pour être un bon auteur de polars ?
Pas nécessairement, puisque beaucoup de grands auteurs ont réussi à percer sans être issu de la profession. Toutefois, je pense que la connaissance de notre milieu peut favoriser la crédibilité de nos écrits, sans toutefois dévoiler la vraie réalité des faits, dû à notre devoir de réserve. Il est donc préférable d’avoir un certain flair et un sens développé de flic si on veut écrire des polars. D’ailleurs les lecteurs ne s’y trompent pas, en constatant rapidement que les affaires criminelles peuvent se réaliser le lendemain à côté de chez eux. Reste à savoir si l’auteur tient à rester terre à terre, comme moi, ou à partir dans l’imaginaire et la fiction surnaturelle où tout est possible et envisageable…
Pas mal de flics écrivent des polars. Quelle est votre spécificité ?
Ce qui me différencie des autres est l’évocation du métier de gardien de la paix, de la vie de ces flics de terrain, et de la dure réalité de la rue.
En général, les romans policiers retracent des enquêtes menées par des hauts gradés tels que Commissaire, Commandant ou Lieutenant, issus des services d’investigation de la PJ. Moi j’évoque le corps des CEA, corps d’encadrement et d’application, à savoir les Uniformes Bleus, ceux qui sont les premiers sur place et au contact du public. Ils sont à la source de toute affaire, en secourant les victimes et en prenant les risques lors de l’interpellation des auteurs de crimes et délits.
Je relate ces dangers et les difficultés rencontrées pour exercer le métier à travers mes romans en me nourrissant de mes années de voie publique, à arpenter le bitume, confronté à la noirceur de la rue et de l’âme humaine. J’y ajoute mes connaissances d’Instructeur en évoquant les gestes et les mesures de sécurité en intervention, les notions de self-défense, de menottages, ou encore le maniement des armes en tant que moniteur de tir et armurier. Pratiquant les arts martiaux, notamment le Krav Maga, j’aime insérer dans mes romans des scènes d’action qui viennent enrichir et dynamiser la narration.
Connaître la procédure est-il un avantage ou un inconvénient dans le rythme de la narration ?
Encore une fois, si l’auteur veut rester crédible, il est nécessaire de connaitre le Code Pénal et les procédures afférentes au métier de policier, voire même les suites judiciaires encourues. Malgré tout, je pense que trop de cadre juridique et de procédure policière peut lasser le lecteur. Il est préférable de doser, sans trop insister ni détailler, au risque de perdre le fil de l’histoire, casser le rythme ou encore ternir le suspense.
Vous avez participé à quelques séries TV en tant que conseiller technique. Quel était votre rôle ?
J’ai effectué trois missions distinctes.
La première consistait à relire les scénarios des épisodes d’une série policière afin de valider l’exactitude des procédures et dénicher les erreurs potentielles.
La seconde était de conseiller le réalisateur lors du tournage des épisodes afin de rendre crédible les positions des policiers lors du déroulement de l’interpellation, les tenues d’arme, les menottages, les palpations, les sorties de véhicules…
La troisième et celle pour laquelle je suis le plus sollicité, concerne le rôle de formateur d’acteur en matière de maniement d’armes. L’objectif étant de le faire manipuler avec dextérité au moment de sa scène. Il s’agit en règle générale de tournage en stand de tir, et la plupart du temps, je les conseille sur leurs positions à adopter, sur le placement de leurs appuis et la prise en main de l’arme. Ensuite je leur explique les règles de sécurité lors de la mise en service de l’arme ainsi que lors de la remise de l’arme à l’atelier. Ces conseils et ces manipulations se prodiguent au calme, en amont de la scène à jouer, pour mettre en confiance l’acteur. Ensuite, au cours des répétitions, j’apporte quelques conseils ou détails supplémentaires pour ajouter de la crédibilité au rôle de l’acteur.
Aimeriez-vous écrire pour la TV ou le cinéma ?
J’ai eu la chance de le faire et j’ai d’ailleurs commencé par écrire pour une société de production pendant presque cinq ans, avant d’écrire des romans. Ayant eu quelques contacts lors des tournages de séries policières, j’ai proposé une histoire à une réalisatrice qui m’a dirigé vers une productrice. C’est ainsi que j’ai signé plusieurs contrats d’auteur en participant à deux conceptions de séries et en officiant en tant que conseiller technique sur les scénarios. J’ai également proposé plusieurs synopsis pour la série Adresse Inconnue, un épisode présenté pour Julie Lescaut et pour Profilage. Même si aucun projet n’a réellement abouti, ces années ont été très enrichissantes au niveau de l’écriture. C’est d’ailleurs grâce à cette insertion dans le milieu, que j’ai eu l’envie d’écrire mon premier roman.
La vie d’auteur est une drôle de vie. Avez-vous une anecdote amusante à nous raconter ?
En janvier dernier, alors que j’attendais avec impatience la publication du dernier opus de ma trilogie, je me suis décidé à mettre par écrit des idées qui bouillonnaient concernant l’élaboration de mon 4ème roman. Si envoûté par mon histoire, je me suis lancé dans les grandes étapes du scénario et au moment de finir son ébauche, des flashs me sont parvenus sur un 5ème potentiel, et dans la continuité, un 6ème… tout s’est enchainé à la vitesse grand V, à tel point que j’ai abandonné le 4ème pour rédiger le 5ème, que je viens d’achever. Et je vais attaquer le 6ème. Au final, le 4ème s’est vu relayer à la 6ème place du jour au lendemain. Tout cela pour dire que pour l’instant je ne connais pas le syndrome de la page blanche !
Pouvez-vous nous parler de votre trilogie Les Uniformes bleus ?
L’essentiel pour un auteur est de trouver un angle ou un sujet qui interpellera le lecteur, avec un fil conducteur qui l’attirera jusqu’au dénouement. Or, à ce jour, le métier des Uniformes Bleus est très rarement abordé. Même si on ose parler des missions de ces flics de base, comme on aime péjorativement les surnommer, c’est trop souvent pour les sous-estimer, les dévaloriser ou les ridiculiser. Alors, de manière à contrecarrer toutes ces séries télévisées nous proposant sans cesse les mêmes enquêtes, uniquement menées par des Lieutenants ou des Commissaires, j’ai souhaité coller à la réalité en créant ces histoires fictives afin que le public puisse enfin apprécier le vrai travail du gardien de la paix.
En fait, aujourd’hui, c’est lui qui est à l’origine de toutes affaires contraventionnelles, délictuelles ou criminelles. Non seulement ces flics de terrain interpellent les auteurs d’infraction en flagrant délit, mais ils interviennent également les premiers sur place pour secourir les victimes, procéder aux constatations, établir le périmètre de sécurité ou encore participer à la préservation et aux relevés des traces et indices. Et nos concitoyens ignorent souvent que depuis plusieurs années, maintenant, ces policiers en uniforme ont même la possibilité d’obtenir la qualification d’Officier de Police Judiciaire, qui leur permet d’élargir leur champ d’action en participant aux investigations nécessaires à la rédaction et au suivi de leur procédure.
Tout ceci pour dire que l’image du gardien de la paix des années 70, en train de régler la circulation avec son bâton blanc, est bien révolue, au même titre que le Pinot simple flic du cinéma des années 80 qui reste hélas toujours présent dans les esprits, alors qu’il n’est vraiment plus d’actualité. Au contraire, de nos jours, ces Uniformes Bleus sont des professionnels de la voie publique ayant accès aux concours nationaux grâce à des diplômes obtenus en filières secondaires voire universitaires.
Alors à travers une enquête originale, j’ai détaillé les déboires d’un Major-Instructeur, aussi bien privés que professionnels. Mon souhait était de faire découvrir aux lecteurs mon métier qui peut être à la fois très enrichissant et dévastateur.
D’après les retours formulés sur le premier volume Un bon Flicard, je pense avoir réussi. Certains ont même découvert la profession et les missions du gardien de la paix. Ensuite, après avoir achevé ce roman policier noir, je me suis attaqué à la rédaction du second volume Flics et frères d’armes en souhaitant en faire un thriller dynamique. Les lecteurs m’ont confirmé que le suspense était haletant et fourni en rebondissements. Et quand ce 2ème opus a été publié, le 3ème était pratiquement achevé. Ainsi était né Tueurs de flics qui s’inscrit à mi-chemin entre le roman noir et le thriller, avec un final très troublant voire perturbant.
Les trois volumes représentent des enquêtes distinctes les unes des autres, et peuvent pratiquement se lire séparément. Toutefois, la psychologie des personnages ayant un rôle important pour la compréhension du fil rouge, commun aux trois volumes, il est recommandé de suivre l’ordre établi.
Avez-vous déjà en tête le thème de votre prochain roman ?
Comme je viens de l’évoquer précédemment, je suis en train de finaliser mon 4ème roman qui est sur le point d’être envoyé aux éditeurs. Il s’agit d’un roman unique, bien que… je n’en dirais pas plus, mais il pourrait y avoir une surprise concernant les prochains. Par contre, je ne ferai plus de suite ni de trilogie. Ce roman policier se déroulera dans le Pas-de-Calais, ma région d’origine. C’est une histoire d’amitié entre deux gamins, que rien ne prédestinait à une telle complicité. Une enquête sordide, avec des meurtres et de multiples rebondissements. Tout ce que j’affectionne.
Quel est le dernier livre que vous ayez lu ?
22/11/63 de Stephen King, après plusieurs romans de Harlan Coben et Maxime Chattam. Mais j’avoue que j’ai de moins en moins le temps de lire, entre mes activités professionnelles, le sport et l’écriture… il me faudrait des journées de 35 heures !
Éric Dupuis
Suite à son incorporation dans le premier contingent de Policiers Auxiliaires en octobre 1986, Éric Dupuis est devenu Gardien de la Paix en 1987.
Après plusieurs années de voie publique en région parisienne, et 29 ans de carrière dans la police nationale, il officie actuellement comme Major-Instructeur dans l’enseignement des activités physiques et professionnelles (Tir, Self-défense et Techniques de Sécurité en Intervention). Responsable d’une équipe pédagogique, il gère la formation continue des fonctionnaires de police.
Hormis l’écriture, la seconde passion d’Éric Dupuis est le sport, en particulier les Arts Martiaux. Directeur technique d’un Club de Krav Maga, il enseigne la Self-Défense à ses élèves. Grâce à ses prestations en tant qu’acteur et conseiller technique pour le cinéma et les séries télévisées, il a eu l’opportunité de devenir auteur en proposant ses récits. Après quelques années d’écriture pour une société de production, il s’est lancé dans l’aventure d’une Trilogie intitulée Les Uniformes Bleus, ode à son métier de Gardien de la Paix, où l’imaginaire flirte souvent avec la dure réalité du terrain.
Pour en savoir plus sur Éric Dupuis : www.romanspoliciersericdupuis.com