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Interview de Régis Descott

26 Juil 2015

1507-1Quel est le premier livre que vous-vous souvenez avoir lu ?

Je vous répondrais bien volontiers un de ces romans britanniques de l’ère victorienne, comme Les Grandes Espérances, de Dickens, La Foire aux vanités, de Thackeray, Dr Jekyll and Mr Hyde, de Stevenson ou encore Dracula, de Bram Stoker, qui figurent au sommet de mon panthéon personnel.

À ce propos, il est intéressant de constater la quantité de romans issus de ce vaste et puissant courant qui donnèrent naissance à des mythes (ou pourrait ajouter Sherlock Holmes, Frankenstein, Dorian Gray…). Mais je les ai lus plus tard et ce serait mentir.

Plus simplement, le premier livre que je me rappelle avoir lu c’est La Gloire de mon père. La résurgence des souvenirs d’enfance avant la formation des mythes, donc, dans ces paysages provençaux où s’est en partie construite la vocation du jeune Pagnol.

Dans quelles circonstances avez-vous écrit votre premier roman ?

Je devais avoir dix ans, peut-être onze, et pour échapper à l’exiguïté du quotidien, je me suis lancé dans la rédaction d’un roman d’aventure, à l’intrigue échevelée, qu’évidemment je n’ai pas achevée. M’attaquer directement au roman, c’était avoir les yeux plus gros que le ventre, mais je n’envisageais pas autre chose, et après un certain nombre de tentatives, j’ai fini par y parvenir !

Pourquoi écrivez-vous ?

Je me reconnais assez dans la réponse de Samuel Beckett à cette même question : « Bon qu’à ça ». À l’origine, l’écriture aura sans doute été pour moi la réponse à une certaine inadaptation à ce monde auquel j’ai décidé d’opposer mes propres univers, mondes ou vies rêvées, même si dans mes romans la lumière n’apparaît souvent que de manière ténue. A ce propos, j’ai été heureux de découvrir il y a quelques années cette idée développée par le professeur Laborit, dans L’éloge de la fuite.

On peut ensuite considérer l’écriture comme un moyen de réfléchir à l’existence, une tentative de donner un sens à ce qui peut en paraître dépourvu, mais on n’est déjà plus au stade de la nécessité première.

Pensez-vous qu’il faille être un grand lecteur pour être un bon auteur ?

Qu’est-ce qu’un grand lecteur ? Quelqu’un qui depuis des années lit régulièrement ? De façon désordonnée, erratique, ou au contraire méthodique ? Ou par affinité, une lecture en entraînant une autre, suivant un fil qui se tire naturellement, en fonction de sa propre curiosité ? J’aime assez cette notion de curiosité, à laquelle j’adjoindrai celle de liberté.

Comme dans n’importe quel domaine, je crois qu’il faut savoir ce qui a déjà été fait, ce qui a été dit et comment ça l’a été surtout. A partir de là, à chacun de se faire sa propre idée, pour se lancer à son tour, avec sa propre voix. Mais comme par hasard, je ne connais pas de bons auteurs ayant peu lu.

La folie est-elle un bon moteur pour écrire des thrillers ?

J’ai découvert l’univers de la psychiatrie grâce à ma rencontre avec le docteur Bodon-Bruzel qui m’a inspiré le personnage de mon héroïne dans Pavillon 38, un thriller sorti en 2005 ayant pour cadre principal une unité pour malades difficiles. Dix ans plus tard, nous avons coécrit L’homme qui voulait cuire sa mère, un document paru cette année chez Stock, dans lequel elle raconte son expérience de psychiatre de l’extrême en contact avec des fous dangereux.

Alors oui, la folie est propice au thriller puisqu’elle est une négation des limites imposées par la raison et la normalité, et qu’elle ouvre à l’infini le champ des possibles. D’autant qu’elle est multiple et revêt de nombreuses formes très différentes, il n’y a qu’à voir le nombre de pathologies mentales ou de troubles de la personnalité. Mais chaque folie a sa logique, ce qui impose un cadre et en accroît l’intérêt sur le plan de l’intrigue. Prenez l’infirmière de Misery, de Stephen King : elle vit dominée par son délire centré sur le romancier. Même chose pour les personnages de psychopathes chers à Thomas Harris dont la vie tourne autour de la recherche de leurs victimes.

En avril dernier sortaient Les variations fantômes. Pouvez-vous nous en parler ?

A l’origine, l’idée de ce roman vient d’un lieu, un château dans la Nièvre habité par un de mes amis qui m’y invite de temps en temps à passer un week-end. Il s’agit d’une grande bâtisse datant de la révolution industrielle, démesurée et tout à fait anachronique aujourd’hui. Mais il s’en dégage un charme auquel je suis sensible, et très vite j’y ai imaginé une intrigue, un huis clos donc, sur une période de temps ramassée, trois jours en l’occurrence. Ce château m’a toujours semblé « habité », voire inquiétant, perdu au milieu des bois, et d’une certaine manière, il est le personnage principal de mon roman. Je me suis vraiment inspiré de la topographie des lieux, j’en ai respecté le plan de façon fidèle, avec son gigantesque sous-sol, ses pièces de réception grandioses et son grenier labyrinthique. Et j’ai imaginé les événements terribles qui ont pu y avoir lieu, susceptibles de donner naissance à des fantômes hantant les lieux. Le résultat, peut-être un mix des Dix petits nègres, de Shining, mais aussi de Dowton Abbey.

Restez-vous hanté par les fantômes de vos livres passés ?

Je n’ai encore jamais relu aucun de mes livres une fois publiés. Et je pense plus à mes prochains romans et aux personnages qui devraient les habiter. J’y pense généralement des années avant, l’idée se faisant de plus en plus précise à mesure que j’approche du moment de l’écriture. Mais je garde une tendresse évidente pour la plupart des héros de mes précédents romans. Je pense notamment au Docteur Corbel, le médecin des pauvres qui dans Obscura doit soigner des prostituées atteintes par la syphilis, ou à Chim’, le traqueur d’hybrides dans L’Année du rat. Mais le terme de fantômes est bien choisi, pour ces êtres de papier dont l’existence précaire ne tient qu’au désir des lecteurs !

La vie d’auteur est une drôle de vie. Avez-vous une anecdote amusante à nous raconter ?

Au printemps 2011 j’ai fait la connaissance d’un garçon très vite devenu un ami, mais aujourd’hui hélas disparu, qui animait la piscine Molitor alors désaffectée. Il y accueillait des graffeurs et y organisait des événements toujours réussis, lors desquels régnait un esprit de partage exceptionnel. Il m’a installé une table sur la coursive du premier étage du bassin d’hiver, vide évidemment, et bien évidemment entièrement tagué, où pendant deux mois j’ai écrit un de mes romans, profitant pendant cette trop courte période du plus extraordinaire bureau de Paris.

Avez-vous déjà en tête le thème de votre prochain roman ? Pouvez-vous nous en parler ?

Bien sûr, il est déjà terminé et même à l’étape de la maquette, chez Grasset, pour une sortie prévue début 2016. Il s’agit d’un roman inspiré par Joseph Vacher, le tueur de bergers surnommé le Jack l’Éventreur du Sud-Est qui fut guillotiné le 31 décembre 1898 à Bourg-en-Bresse. Un parcours effarant par le sillon de terreur et de sang que le tueur laissait derrière lui. L’idée était d’apporter un regard neuf sur cette affaire qui en son temps avait fait couler pas mal d’encre.

Quel est le dernier livre que vous ayez lu ?

Vernon Subutex 2, de Virginie Despentes. Je n’avais jamais lu aucun de ses livres jusqu’à Vernon Subutex 1 qui m’a enthousiasmé. Il s’agit de la dérive d’un ancien disquaire qui, après avoir fermé sa boutique, est expulsé de chez lui. C’est l’occasion d’une formidable galerie de portraits dans le Paris d’aujourd’hui. Le second volume démarre à mes yeux de façon plus poussive, mais on retrouve ensuite l’énergie, la drôlerie, l’intelligence et la tendresse présentes dans le précédent opus.

Régis Descott

Régis Descott

Après une douzaine d’années passées dans la presse écrite puis une expérience au sein d’un studio de création de jeux vidéos écourtée par le dépôt de bilan de ce dernier, Régis Descott se consacre à l’écriture depuis 2003, année de naissance de son fils Joseph et du grand virage professionnel.

Dans le cadre de son travail il s’intéresse de près aux maladies mentales et à la psychiatrie, univers très présent dans la plupart de ses romans et thrillers (Pavillon 38, Caïn & Adèle, Obscura, L’année du rat, roman d’anticipation sur la manipulation génétique, Souviens-toi de m’oublier, roman d’amour sur fond d’expérimentations neurologiques). Avec Les variations fantômes, paru en avril 2015, il opère un tournant vers le fantastique.

Outre son prochain roman sur Joseph Vacher, à paraître début 2016 chez Grasset, il travaille actuellement sur différents projets audiovisuels.

Il vit à Paris.

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