Interview d’Adeline Fleury
Quel est le premier livre qui a réveillé votre libido ?
Quelques scènes de Madame Bovary, un texte qui pourtant m’agace profondément, Emma et ses caprices, Emma et ses atermoiements, attachante et repoussante à la fois. J’ai en tête le moment où Emma est à l’agonie, un passage d’une extrême sensualité où la frontière entre désir et mort est si fine, la jouissance et la béatitude mystique se mêlent dans cette âme prête à rendre son dernier souffle.
Pensez-vous qu’il faille être un grand lecteur pour être un bon auteur ?
Pas nécessairement. Mais qu’appelle-t-on « grand lecteur » ? Quelqu’un qui lit beaucoup de livres ou quelqu’un qui sélectionne ses lectures en fonction de son cheminement personnel et de ses questionnements existentiels ? Pour être un bon auteur, je crois qu’il faut surtout être un bon observateur, les yeux et les oreilles grands ouverts sur le monde qui l’entoure, dans ses voyages, ses rencontres professionnelles, amicales et amoureuses. Passer d’un milieu à l’autre, se faire caméléon, se confronter à des univers parfois à l’opposé de ce que l’on est, mettre ses convictions à l’épreuve.
Comment devient-on « ghost writter » ?
Pour moi, c’est passé par le journalisme. J’ai été reporter pendant près de quinze ans pour les pages Société du Journal du Dimanche, j’ai rencontré dans mes reportages des personnes qui avaient des histoires poignantes à raconter dont le message pouvait avoir un écho universel, et qu’une page d’un journal ne suffisait pas pour aller au bout des choses. C’est aussi passé par la rencontre d’une éditrice qui un jour m’a téléphonée parce qu’elle trouvait que j’avais une « plume » qui se prêtait à ce genre de publication. Et surtout une grosse capacité d’écoute. Il faut savoir se montrer empathique pour rassurer la personnalité tout en gardant une distance avec son sujet. Car au final, ce n’est pas votre livre. Le « porte-plume » doit savoir s’effacer à un moment pour que « l’auteur » puisse affirmer « j’ai écrit ce livre. »
Il s’agit d’un réel accompagnement.
Dans quelles circonstances avez-vous écrit votre premier roman ? Quel en était le sujet ?
Je l’ai écrit en plusieurs étapes. J’ai rédigé les premières pages lorsque j’attendais mon bébé. La maternité commençait à me transformer profondément et a réveillé en moi une écriture plus fictionnelle. Puis j’ai « grappillé » des plages d’écriture entre les reportages. C’est un texte étrange qui parle du rapport aux mots et de la disparition du livre « papier ». Je ne vous en dis pas plus car il sera publié en janvier prochain.
Comment la journaliste s’intéressant au Vatican est-elle devenue l’auteur de Petit éloge de la jouissance féminine ?
Bonne question ! En même temps que je suivais les questions de religion pour le journal, je vivais une histoire charnelle intense et cela m’a amenée à m’interroger sur mon rapport au corps, à l’âme. Je crois en une « religion » du désir, comme le dit l’écrivaine Belinda Cannone, au sens de « religere », relier. Se relier à l’autre dans le plaisir, mais surtout se relier à soi-même dans la jouissance. C’est ce que Cannone appelle « la communion des corps-esprits ».
Par quel biais abordez-vous le désir féminin dans votre dernier livre ?
J’ai choisi une double narration. Une réflexion à la première personne ou le « je » confronte son expérience personnelle aux grands textes, comme Nin, de Beauvoir, Duras, Sappho, ou des auteures contemporaines, comme Delphine de Malherbe, Belinda Cannone, l’australienne Nikki Gemmell, qui parlent d’érotisme avec finesse et élégance s’en interdire la crudité. Pour les passages plus explicites, car je ne voyais pas comment raconter la métamorphose d’une jeune femme qui découvre tardivement la jouissance sans en passer par la description crue de ce qu’elle vit, j’ai crée un double littéraire, Adèle ou la femme désirante. Une jeune femme qui se libère sur tous les plans par la jouissance.
Les mots peuvent-ils être aphrodisiaques ?
Tout dépend du contexte dans lequel ils sont prononcés et qui les prononce. Quand l’amoureux et l’amant sont la même personne, que les corps se sont éprouvés et se connaissent à la perfection, les mots les plus crus peuvent être libérateurs, de formidables catalyseurs du plaisir. Cela passe par la fusion totale des âmes et des corps.
Votre livre s’adresse-t-il de prime abord aux femmes ou aux hommes ?
Aux deux ! Même si je pense que je n’ai rien à apprendre aux femmes, si ce n’est que la jouissance passe avant tout par le féminin, et qu’il faut qu’elles en soient persuadées, qu’elles comprennent que jouir ne consiste pas à entrer dans la jouissance de l’homme mais qu’il existe une jouissance supérieure, une efflorescence du corps, où la jouissance l’emporte sur tout. Les femmes ont les clés.
Et c’est un bel enseignement pour les hommes, non ?
Avez-vous déjà en tête le thème de votre prochain livre ?
À côté de mon travail de « ghost writter », je commence à réfléchir à un prochain roman, qui parlera de désirs d’homme cette fois-ci. L’histoire d’un homme qui a tout pour réussir dans la vie mais qui n’a jamais joui.
Quel est le dernier livre qui vous a envoyée au ciel ?
Je ne peux m’empêcher de lire et relire le Journal de l’amour d’Anaïs Nin, une poétesse de l’érotisme et j’ai dévoré le roman de Sandrine Roudeix, Diane dans le miroir, où l’auteure, elle-même photographe, reconstruit, entre éléments biographiques avérés et ajouts fictionnels, une tentative d’autoportrait de l’artiste Diane Arbus, par une chaude nuit d’été. Encore une fois, une plume sensuelle et élégante.
Adeline Fleury
Adeline Fleury, 37 ans, a souvent aidé les autres à raconter leur histoire. Reporter pendant quinze ans, essentiellement pour les pages Société du Journal du Dimanche. Faits divers, portraits de personnalités, plongée dans le milieu de l’éducation nationale, immersion dans les coulisses du Vatican… l’humain est son inspiration, la rencontre son moteur. Parce que désir et écriture sont intimement liés, elle prend la plume aujourd’hui pour faire l’éloge de la jouissance féminine.